Publié dans Le Nouvelliste
Des phrases courtes,
certaines se terminant sur une préposition, d’autres perchées, suspendues. Une
prose décousue qui varie selon l’humeur de l’auteur, qui vous surprend et vous
charme. Une persistance des détails forgeant une complicité avec vous, le
lecteur, de page en page, de chapitre en chapitre. La découverte d’un écrivain
qui se découvre, qui s’étale nu dans les pages, entre les pages, qui n’a peur
de rien, qui ne s’embarrasse pas des conventions du langage, de l’écriture, du
monde même. Les dialogues s’enchevêtrent dans le texte, formant un tout. Et les
mots s’égrènent, certains familiers et même jargonnesques, d’autres rares qui
vous poussent vers le dictionnaire. Jean-Claude Charles, c’est tout cela, et
même plus, dans son roman Manhattan Blues, tel que publié par Mémoire
d’encrier, en 2015, trente ans après la parution de l’édition originale.
Sous l’envoûtement stylistique de cette œuvre magistrale,
une histoire d’amour se faufile timidement, comme pour ne pas déranger le
lecteur. Le narrateur, Ferdinand, est pris entre deux femmes : Jenny et
Fran. Jenny, la femme impossible, «toujours en guerre avec un mec », la
femme indépendante qui ne fait qu’à sa tête, qui vit pour son petit bonheur.
« Parfois c’est aussi : Ferdinand.
Je couche chez...Surtout vers la fin de notre histoire. Aujourd’hui c’est
l’équivoque. La dernière fois que je suis venu ici, on s’est peu vus. Elle
jamais là. Moi jamais là. » M’aime-t-elle, semble se demander Ferdinand,
m’a-t-elle jamais aimé ? Je l’aime, moi ? « Mon amour pour Jenny
me perdra. »