Poèmes

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La tète chauve des mornes
Mario Malivert
La tete chauve des mornes, Ed. Le chasseur abstrait, Paris,  Juin 2011, 100 pages 





LA TÊTE CHAUVE DES MORNES 

mornes chauves 
campés autour des villes 
rats au dos dégarni 

les racines empilées 
sous des feuilles de palmiers 
s'allument 
se raidissent 
se noircissent en charbon de bois 
une langue de fumée peigne le pic des mornes 
chuchotant le cri des terres desséchées 

que réserve la minute qui attend 
petit mil grillé qui donne le roulis 
mur de boue terre battue toit de chaume 
mangues vertes bouillies pour dîner 

douze ans d'école boulot évasif 
rêver de laisser cette île maudite 
tenter sa chance sur une mer affamée 

yeux délavés des enfants 
qui ne savent pas encore 
qu'il n'y a rien à attendre 
pari impitoyable face au défi d'un pays
qui se dirige tout droit vers le précipice 
la réalité est dure comme les cœurs 
des dirigeants 
les budgets quels budgets 
les dons quels dons 
les projets quels projets 
les rues défoncées s'étalent comme une grimace 
le pays le chéri qu'on détruit comme des cons 
absence d'imagination pour fixer le réel 
avec des yeux frais 
manque de courage pour dire non 
à la chicanerie 
kwashiorkor d'un appareil d'état 
vice de vision et de mission 
citoyen kleptomane 
l'or du pays dans les banques de Suisse


TRANSCENDANCE 

j'ai gobé le nectar de l'éternité 
entrevu le glorieux royaume à venir 
tas de mots pendus sur des croix de gencives 
oracles voguant entre les esquisses 
des nuages 
le reflet doré du soleil du matin 
recèle un message 
pour les pèlerins des grottes centenaires 

mais la gravité me réclame 
la boue m'attire vers sa case mouvante 

fenêtres ouvertes 
sur la clairière aux alentours des rivières 
clapotement des larmes coagulées 
mes yeux s'habituent à chanceler 
éclipse perpétuelle 
dans un univers de fiel 

mes paroles s'échappent vers le firmament 
le matin me retrouve sur mes genoux calleux 
mes mains en branches de palmiers


TROP PLEIN 

Port-au-Prince 
penche et balance sous le poids des pieds 
que de pieds trop de pieds 
des gens qui viennent d'ailleurs 
des fils de Jean-Rabel et du Mole Saint Nicolas 
délaissent la terre 
en quête du jet rapide de la ville 
les maisons se dressent dans le lit des ravines 
murs effondrés dans les grandes pluies 
jus de béton dans les eaux 
les cercueils sous les nuages gris 
les canaux quels canaux 
les égouts quels égouts 
mais la marche continue dans les rues poussiéreuses 
de la cité des princes 
en quête de l'or enterré sous le sable des trottoirs 

que de temps perdu 
la masse grise du cerveau 
s'engloutit dans l'attente des gratte-ciels 
les mêmes silhouettes se déhanchent 
du matin au soir
les mêmes demoiselles à la démarche lascive 
exigent le regard 
les idées mort-nées des intellectuels de fortune 
des savants sans tonnelle 
assis sur des capots de voitures 
des jeunes gens ne trouvent rien à faire 
mais de poursuivre l'extase des jeux insolites 
mais de succomber à l'attrait de la chair 
panacée des jours d'ennui 
exutoire des longues heures monotones des nuits chaudes 

le repas des temps creux se sert 
en vague 
carnaval de mauve et gris 
marée de chauve-souris 
zigzag 
des secondes-cendres 

cafouillis des sachets de plastique 
papiers noircis de boue 
tendons de poulets au cou tordu 
pour le repas du dimanche 
le fatras nous hante 
la fumée danse dans sa robe violette 
senteur nauséabonde de la chair gâtée 
l'enfant tourne son cercle autour 
du tas

ceux qui ont vécu toutes leurs vies 
dans cette vie de rues défoncées 
iront tout droit au paradis 
ceux qui ont bu la coupe amère 
des jours sans but 
Lazare des temps modernes 
reposeront à coup sûr 
sur le sein d'Abraham


TA MAUVAISE MINE 

une rondelle de lune sous mes ongles 
pour incendier la prunelle de tes yeux 
la vrille au bout de mes doigts 
scintille en brins argentés 

je t'achète une cornemuse pour serrer tes moues 

je te dresse un pilori pour crucifier ton tourment 

si ton blues a une histoire à décanter 
qu'il se hâte 
mon attente gicle en mille brisures 

peut-être faut-il refaire la vie 
de ville en ville 
d'île en île 
étioler l'ennui remplir le vide 
effilocher le silence


Extraits de "De la mort à la vie"
Mario Malivert
De la mort à la vie, Décembre 2006, 90 pages

Passage

Passer de la mort à la vie, ça doit être compliqué,
Un ver de terre dans un festin de roi.
Pourtant,
La voie qui mène à la vie est simple.
Silence, tout ce qu'il te faut.
Fais taire le moi qui grossit;
Eteins tes yeux et leurs convoitises;
Retiens l'élan de ton coeur tortueux;
Oublie-toi dans l'immensité de Son amour;
Monte dans Son train et dors;
Jette tes bagages et ce talisman,
Ta culture, ta race, ton clan, ta clique.
Viens nu, comme tu étais engendré.
Laisse ta boue dehors.

Sans valeur, tu es racheté à grand prix.
Malicieux, tu partages la table du Messie.

Maintenant, montre ta joie.



Espoir

Imprévisible reste le futur,
Des minutes de joie,
Des heures de désespoir.
Dans un monde imparfait,
Sur une terre maudite,
Notre lit paré d'épines.


Coupe de fiel,
Breuvage amer,
Tu fuis la souffrance.
Mais elle est là,
Inévitable,
Passage obligé.

Fragilité de ton être,
Les sanglots chevauchent ta poitrine.
Mais au loin tu entrevois Jésus dans Sa gloire,
La splendeur aveuglante du royaume à venir.


Mon pays entravé

La fumée grise des pneus
Danse autour de l’odeur âcre du caoutchouc.
Le corps entravé dans les griffes du feu
Tord contre la langue âpre
Des flammes.

Délire,
Tohu-bohu,
Défilé des opprimés,
La peau marquée par les ligatures,
Les fémurs disloqués par les raclées
Les yeux cernés par l’exil.

La ville en cendres
Agonise.
Elle a perdu son innocence.
Port-au-Prince
Dépérit,
Ses rues converties en écorcherie.


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Extraits de "Vin Aigre"
Mario Malivert
Vin Aigre, 1989, 82 pages

Vague à l’âme

Un soleil grimace sous les saules
sur le sable un sourcil oublié
à la senteur salée
une nacelle sur les vagues
se laisse toute lasse swinguer

une chaussée grise et mauve
sur la croisée des rides de l’eau

l’autre jour sur mon sein
un écho
une volée de moineaux rien n’est dit
sur mes feintes
un rassis de salaud accroché
sur une vitre brisée


Effacé par les vagues

Sinistre
le rance pétri aux minuits
de hurlement de vent

volets clos de cœurs surpris au cadran d’ineptie
le gâchis à la dérive de mes désirs
je vis au sein de cubes branlants
de fioritures de vacarme ourdi

sur les cordes vocales du vent
mes cris à la remorque de l’absurde
la brise sur le flasque comme l’aorte
sur les bords des tumeurs

le temps fuit comme des globules
mauves au firmament des déchirures
les cors bruissent

je me tue toutes les minutes
toutes les turpitudes au charivari
de mes sens les virus grossissent

sclérosé les secondes aux lueurs
d’échappement chaleurs de sueurs noires
l’esprit dans une colonie d’algues
charme les discrets soupirs
aux dépens des vils chants de nuits

toute grise
la luxure
le philtre des fuites
le lointain des enfers
le non-sens des lendemains
le fini des ronflements de la brise
le ballotement des lames
mes nuits entre les empreintes sur le sable
et mes amours et mes êtres disparus
effacés par les vagues





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