Kannjawou de Lyonel Trouillot



Le pays qu’on chérit n’existe plus, bien qu’on continue à chanter Haïti Chérie. Les nantis se barricadent encore plus dans les hauteurs qu’avant les années tumultueuses de l’expérience démocratique. La classe moyenne émigre en masse vers les métropoles du Nord ou marche à reculons vers les bidonvilles. Les jeunes des zones de non-droit se retrouvent piégés entre la mendicité et la délinquance. L’économie n’est soutenue que par les dollars en provenance de la diaspora. L’éducation n’est plus cette échelle qui permet de grimper d’une classe à l’autre. Seule la politique garantit une fortune rapide et une pension sûre, et tout un beau monde en prend le chemin, à tort ou à raison.

Lyonel Trouillot, dans son rôle d’écrivain engagé, a commenté en long et en large des maux du pays, dans ses romans, dans ses essais, et dans ses articles de journaux. Dans Kannjawou, son dernier roman en date, il continue dans la même foulée, par le biais d’un jeune narrateur qui, dans son journal, navigue entre la rue de l’Enterrement, les livres, et un bar où se rencontrent des ressortissants étrangers.

Le livre est axé sur les occupations étrangères qu’a connues le pays, et sur Man Jeanne, une sorte de sage du quartier, qui nous rappelle Justin, le « législateur bénévole » de La belle amour humaine, celui qui garde l’entrée d’Anse-à-Fôleur et accueille les visiteurs. Man Jeanne, le seul personnage à avoir vécu l’occupation de 1915, la « première Occupation », situe le déclin du pays entre la première occupation et l’occupation actuelle par les employés militaires et civiles des ONG et des institutions internationales. Le narrateur, proche de Man Jeanne, consigne dans son journal la colère de la vieille dame contre les occupants d’hier et d’aujourd’hui.

Faut-il garder cet enfant? de Frantz Jean Baptiste



Par Mario Malivert

Dans son troisième livre à date, Faut-il garder cet enfant?, Frantz Jean Baptiste revient au roman d’essai pour aborder l’épineuse question de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), tout en cadrant ses arguments contradictoires dans les trames d’une narration. L’auteur qui vit actuellement dans le Massachusetts tente avec ce livre d’enrichir la conversation autour de l’avortement, l’un des critères définissant les deux principaux partis politiques aux Etats-Unis. En effet, la majorité des membres du parti démocrate adoptent la tendance pro-choix, c’est-à-dire droit de la femme à décider de continuer ou non la grossesse ; tandis que du côté républicain, prédomine la tendance pro-vie, c’est-à-dire droit à la vie du fœtus. Cette question, bien que tranchée par la décision Roe v. Wade de la Cour Suprême américaine en 1973, en faveur de la tendance pro-choix, fait encore l’objet de débats houleux aux Etats Unis.

En Haïti, l’IVG fait l’objet de moins de débats. On dirait un sujet tabou, bien que l’article 262 du code pénal de 1835 punisse de « réclusion criminelle à perpétuité la femme qui avorte et tous ceux et toutes celles, intermédiaires, pharmaciens, médecins participant au processus. »[i] Depuis 2013, selon plusieurs articles d’AlterPresse, un mouvement amorcé par les associations de femmes haïtiennes et encadré par certains ministères du gouvernement, a relancé les discussions sur l’IVG, dans le but de moderniser l’article 262 du code pénal et de l’adapter aux exigences actuelles. Le livre de Frantz Jean Baptiste vient apporter de l’eau au moulin des différentes parties engagées dans ces discussions.