Mémento de la mauvaise gouvernance en Haïti

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 « Dans un rapport paru en 1992 et intitulé “Gouvernance et développement”, la Banque mondiale définit la bonne gouvernance comme étant la manière dont le pouvoir est exercé pour gérer les ressources nationales économiques et sociales consacrées au développement (…) L’aspect essentiel de la bonne gouvernance réside dans une action gouvernementale prévisible, transparente et éclairée, dotée d’une bureaucratie imbue d’éthique professionnelle et d’un exécutif comptable de ses actions », lit-on dans un document du Fonds International de Développement Agricole (FIDA). Dans cette définition l’on peut déceler certains piliers de bonne gouvernance : gestion saine des ressources nationales, transparence, équité, intégrité, responsabilité, reddition de compte, etc.


Dans son livre, « Haïti 1986 – 2016, Trente ans de mauvaise gouvernance », Lemoine Bonneau retrace les faits marquants des gouvernements tant élus que de facto de cette période. Malheureusement, la majorité de ces faits représentent les symptômes d’une maladie chronique, à savoir la mauvaise gouvernance, résultant au statut d’Haïti, dans le concert des nations, comme l’un des pays les plus pauvres, les plus faibles institutionnellement, et les plus corrompus.

Le développement étant un corollaire de la bonne gouvernance, on comprend bien pourquoi la mauvaise gouvernance des administrations de 1986 à 2016, ne peut que générer l’enlisement du pays dans le sous-développement. Durant les années de la dictature des Duvalier, le peuple haïtien caressait en silence, dans sa résilience coutumière, le rêve d’une nation moderne et démocratique. Au lendemain du 7 février 1986, les acteurs politiques auraient dû se lancer corps et âme vers la concrétisation de ce rêve. Une nouvelle constitution reflétant cette vision s’imposait alors. Malheureusement, malgré sa ratification en 1987, les leaders tant civils que militaires, de 1986 à 1991 (chapitres I à IV), aussi bien qu’après, au lieu de veiller à son application stricto sensu et établir les différentes normes et institutions qu’elle préconise, s’adonnent plutôt à une lutte féroce pour le contrôle du pouvoir, au détriment des velléités modernes et démocratiques du peuple.

Aucun projet de société

Avec l’élection de Jean Bertrand Aristide (JBA) en décembre 1990 et son installation le 7 février 1991 (chapitres V et VI), l’espoir d’une nation moderne et démocratique renaît. Après les premiers mois euphoriques, les éléments de mauvaise gouvernance ne tardaient pas à se manifester : « le président élu n’avait aucun projet de société et le Premier ministre [René Préval] n’avait défini aucun plan directeur pour les ministères (…) Il s’agissait d’une nouvelle équipe gouvernementale animée de la bonne volonté de changer le destin du pays, mais qui n’était guidée ni par un fil conducteur ni par une feuille de route. » (p. 50). Ainsi avec l’absence d’un programme de gouvernement, comment peut-on établir un cadre transparent de gestion des ressources de l’État et se lancer dans des projets de développement durable ? Plus tard, le manque de cadre juridique et la violation des normes établies par la Constitution de 1987, éléments de bonne gouvernance, va miner les rapports de l’Exécutif avec le Parlement et engendrer des crises politiques incessantes.

Du chapitre VII au XII, couvrant la période du coup d’état de 1991 au retour au pouvoir le 15 octobre 1994 de JBA, les militaires et leur cortège de gouvernements provisoires ont cassé le faible élan du pays vers une normalisation de la gouvernance. Jean Bertrand Aristide, fort de ses « trois ans et quinze jours » de réflexion (et d’expérience) en exil, allait-il mieux faire en terme de bonne gouvernance ? L’auteur énonce deux faits plaidant en faveur d’une réponse négative : 1) Le manque de transparence dans l’utilisation des fonds alloués aux « Petits projets de la présidence…pour récompenser des organisations de base, des institutions et des proches collaborateurs. (p. 119), et 2) La loi sur les réductions de taxes sur les produits agricoles et autres produits comestibles, sous la pression du Fonds Monétaire International (FMI) : « A travers cette loi, l’économie haïtienne devint l’économie la plus libérale de toute l’Amérique. Tous les produits agricoles des États-Unis et de la République Dominicaine allaient vite envahir le marché haïtien au détriment de la production nationale. » (p. 120).

Le chapitre XIII introduit le premier gouvernement de René Préval, le 7 février 1996. « Les réformes économiques et la relance de la production agricole constituaient les deux grandes priorités du chef de l’Etat. » (p. 126). La bonne gouvernance avait-elle une chance avec un président qui en qualité de premier ministre sous la première présidence d’Aristide « n’organisa aucun conseil de Cabinet durant les sept mois de sa gestion comme chef de gouvernement. » ? (p. 50). Pour l’axe des réformes économiques, la privatisation de deux entreprises publiques (Minoterie et Ciment d’Haïti) sous la pression du FMI ne fait que saper davantage la production nationale. Quand au deuxième axe, la réforme agraire n’a pas débouché sur la relance de l’agriculture. De fait, des « émeutes de la faim » vont perturber le gouvernement de Jacques Edouard Alexis et aboutir à sa fin par un vote de censure du Parlement.

Le deuxième mandat de JBA (chapitre XII), débutant le 7 février 2001, en plein cœur d’une crise électorale qui va en s’aggravant, sous la roulette de différents groupes de l’opposition ou de pression, noyant ainsi tout souci de bonne gouvernance, va prendre fin, comme le premier, avec la démission forcée du président et son départ pour l’exil le 29 février 2004. En fait, de 1996 à nos jours, donc de la première présidence de René Préval jusqu’à celle de Jovenel Moïse, deux éléments basculent les administrations dans des crises politiques récidivantes, rendant caduque tout projet de bonne gouvernance : les rapports désastreux de l’Éxécutif avec le Parlement et l’obsession de contrôler le processus électoral.

Sous la présidence de Joseph Michel Martelly (chapitre XXI), le Premier Ministre Laurent Lamothe a joui de mai 2012 à décembre 2014 d’une rare période de stabilité politique, pendant laquelle, avec les fonds Petrocaribe, il a entrepris des centaines de projets qui auraient pu placer le pays sur les rails du développement, mais comme nous le rapporte Lemoine Bonneau : « Le gouvernement Lamothe ne lançait des opérations que pour le court terme (…) [Il] n’avait aucun plan de développement pour le pays. La vision de développement d’un pays se mesure dans le long terme à partir des axes programmatiques sur le moyen et le long terme. » (p. 238).

« Haïti 1986 – 2016, Trente ans de mauvaise gouvernance » de Lemoine Bonneau, un livre à lire par tous les Haïtiens, particulièrement par ceux qui occupent actuellement des postes de responsabilités et ceux qui se préparent à entrer dans l’administration publique. Il nous faut gouverner autrement, dans l’intérêt de la nation. Les pouvoirs exécutif, législatif, et judiciaire doivent pouvoir fonctionner harmonieusement, sans empiètement d’un pouvoir sur les précis constitutionnels des autres. Il y va de notre avenir.

BONNEAU Lemoine, « Haïti 1986 – 2016, Trente ans de mauvaise gouvernance », 263 pages, Imprimeur S.A, Port-au-Prince, 2017.

Mario Malivert

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