« L’avril des dupes » de Bernard Diederich - 1961 : Année de tous les dangers

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En cette édition virtuelle de Livres en folie, l’opportunité est offerte aux lecteurs de se procurer du livre « L’avril des dupes » (Ed. Deschamps, 2020) de Bernard Diederich, écrivain et journaliste, né le 18 juillet 1926 à New Zealand et mort en Haïti le 14 janvier 2020. Ce livre est traduit en français par Bernier Pierre de la version originale anglaise, « The fools of April : 1961 ».


Les événements et faits divers rapportés et commentés par l’auteur tournent autour de l’année 1961, une année charnière pour plusieurs nations de l’hémisphère occidentale, dont Haïti, la République dominicaine, Cuba, et les États-Unis. L’auteur se réfère aussi bien aux articles publiés dans l’hebdomadaire « Haiti Sun » dont il fut le rédacteur en chef, qu’à ceux publiés dans d’autres médias, tels que New York Times, Associated Press, La voix de l’Amérique, etc. Il utilise aussi ses notes personnelles pour étayer la signification des faits et événements relatés. Ce livre prend tour à tour l’allure d’un traité d’histoire, de journal personnel et de mémoires.

Les premiers pas vers la dictature du Dr François Duvalier

1961 débute avec Dr Duvalier cherchant à désamorcer une grève des étudiants : « Il y avait en janvier 1961 une vague d’antiaméricanisme en Haïti et un soutien pour Castro dans sa lutte politique contre l’Oncle Sam, particulièrement parmi les étudiants haïtiens. L’année avait débuté et ne donnait aucun signe que la grève des étudiants tirait à sa fin. » (p. 20). Cette grève se nourrit de la victoire de Fidel Castro à Cuba et de l’investiture le 20 janvier 1961 de John Fitzgerald Kennedy à la présidence des Etats-Unis. En filigrane, les partis de l’opposition, dont le Parti d’entente populaire (PEP) du médecin et romancier Jacques Stephen Alexis, étaient encore actifs.

Les velléités dictatoriales de F. Duvalier vont se confirmer en avril 1961, quand « il s’est fait proclamer président réélu [pour un nouveau mandat de six ans] dans une élection où il n’était même pas candidat (…) alors qu’il lui restait encore trois ans sur la durée de son premier mandat présidentiel. » (p. 14). Malgré le rejet de cette farce électorale, qualifiée d’élection « la mayòt » par la population, la prestation de serment de F. Duvalier pour un second mandat présidentiel se réalisa le 22 mai 1961 (p. 206).

L’auteur consacre une bonne partie du livre à retracer les arrestations, emprisonnements, et disparitions des opposants, intellectuels, ou simples citoyens par les sbires de Duvalier. Cependant il accorde un chapitre entier à la disparition de Jacques Stephen Alexis. Le 17 avril 1961, Alexis, en compagnie de quatre autres militants fut capturé au Môle SaintNicolas. « …Alexis fut jeté dans une cellule à Fort-Dimanche pour une nuit et le lendemain, selon des camarades prisonniers, ce fut un aller simple, sans retour. Il n’y a pas eu de témoins oculaires des derniers moments d’Alexis lorsqu’on l’a exécuté et qu’on a disposé de son corps, comme de celui d’un animal. » (p. 158).

La fin de la dictature de Trujillo

Pendant que Dr F. Duvalier conduisait peu à peu Haïti vers un régime dictatorial et sanguinaire, les Dominicains, eux, cherchaient à extirper de leur pays le venin du despotisme, incarné par le régime de Rafael Leonidas Trujillo Molina. Le 31 mai 1961, « un groupe de Dominicains courageux avait assassiné le dictateur du pays voisin, le généralissime Rafael Trujillo, mettant fin au règne de 31 ans d’un des plus cruels dirigeants dans les annales de la Caraïbe» (p. 15).

Autres faits saillants de l’année 1961

Plusieurs autres faits saillants ont marqué l’année 1961. L’invasion ratée des exilés cubains à la Baie des Cochons, le 17 avril 1961, pour retirer Cuba du contrôle de Fidel Castro, en est un. On peut citer aussi l’arrestation et l'expulsion d’Haïti du Monseigneur Rémy Augustin, premier évêque catholique haïtien, en compagnie de quatre prêtres enseignants français, en raison des réserves qu’il a exprimées à propos du décret présidentiel du 8 décembre 1960 relatif à la réouverture des classes.

Dans « L’avril des dupes », Bernard Diederich allie son souci des détails, son flair du scoop, ses photos et documents d'archives ainsi que son talent de conteur pour produire un livre palpitant, un mémento des années des dictatures, un manuel de référence pour les générations à venir.

L’avril des dupes. Ed. Henri Deschamps, mai 2020, 510 pages.

Mario Malivert

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