« Les fauves rugissent surtout à l’aube » d’Alex Laguerre

 https://lenouvelliste.com/article/218371/les-fauves-rugissent-surtout-a-laube-dalex-laguerre


« L’âge amène la déraison », ainsi débute le roman “Les fauves rugissent surtout à l’aube » d’Alex Laguerre, un livre de 105 pages, paru en 2017, avec des paragraphes d’une phrase pour la plupart, tels des versets dans certaines éditions de la Bible. 


Le personnage principal du livre, Élodie Clémenceau, une serveuse au restaurant Galapagos, enlevée, les yeux bandés, est emmenée chez le député Clovis Chatel, qui lui propose d’être sa compagne tout au long de la compagne électorale—un petit clin d’œil au candidat Jovenel Moïse qui était souvent accompagné de sa femme lors de la campagne électorale de 2015 - 2016. 

Un autre personnage important, Délourdes Larochelle, la tante d’Élodie, se retrouve dans plusieurs endroits du livre, surtout pour une histoire de vente d’une pièce historique : « un vaisselier en acajou massif et un service complet en fine porcelaine ». D’autres personnages, tels que Jeff, l’amant de Clovis ; Calvin Bridgewater, « un ressortissant canadien » ; Gros-Bébé, « l’homme qu’il faut pour les joints, les tatouages, les piercings… » ; et «…les demoiselles Bellevue : Odette et Angela », propriétaires de Galapagos, se voient octroyer quelques phrases-paragraphes ou parfois un chapitre.

Les récits sont loin d’être impressionnants, de même que les personnages, mais l’auteur s’impose grâce à son style à la fois désinvolte et sérieux (il aborde beaucoup de thèmes graves et d’actualité, mais avec humour et un peu de sarcasme): « Quand on se noie, on s’agrippe à n’importe quel bout de bois pour ne pas plonger. Pour un ventre affamé, un bol de riz a beaucoup plus d’attrait qu’un tableau du plus grand maître. Celui qui se laisse crever de faim n’a pas accès au paradis du bon Dieu. Car il en a marre des fainéants. »

Alex Laguerre parle de la pauvreté : « On n’échappe pas à la misère en faisant la fine bouche », de la bénédiction du Blanc : « Car dans cette société toujours en butte aux tares et aux préjugés, tant que le Blanc ne vous a pas décerné un prix, une distinction, aux yeux de vos compatriotes vous n’êtes rien. », de la terreur des tontons macoutes suivie de celle des gangs armés : « De très jeunes garçons, et parfois des filles, étaient enrôlés de force…Ces pauvres gamins avaient du jour au lendemain troqué leur cahier de dessin, leur gomme et leurs crayons de couleurs contre des machettes, des carabines et des kalachnikovs. », et de la brutalité policière : « On lui apprit alors que son fils avait essayé de s’évader au cours de son garde à vue et qu’un jeune policier, paniqué, lui avait tiré dessus (…) Ces fils de pute avaient abattu de sang-froid son petit garçon. »

Le livre s’écrit du point de vue interne d’Elodie Clemenceau, la narratrice, à la fois à la première personne quand elle est impliquée directement dans le récit, et à la troisième personne quand elle parle des autres personnages. Cependant, dans certains endroits, le point de vue semble être carrément omniscient, ce qui démontre une quête de modernité chez cet auteur prolifique (neuf romans, ainsi que des nouvelles et recueils de poèmes). 

Tant dans les thèmes que dans le style, Alex Laguerre est un romancier bien ancré dans son temps et qui exige notre attention. Il écrit avec aise et surtout sans prétention ; donc sans se poser de questions, comme a dit Dany Laferrière en parlant de sa carrière. Dans un pays où l’on ne recense qu’une dizaine de romanciers de métier, n’attendons pas l’approbation du Blanc pour reconnaitre le talent d’Alex Laguerre et sa place dans la littérature contemporaine haïtienne.

Mario Malivert

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire