Le dernier roman de Toni Morrisson


Publié dans Le Nouvelliste du 21 aout 2019

En 2015, l’écrivaine américaine Toni Morrisson publie « God help the child », son dernier roman, quatre ans avant sa mort survenue le 8 août dernier, à l’âge de 88 ans. Contrairement à ses dix romans précédents, son onzième se situe dans l’époque actuelle. Mais il reste ancré dans son univers romanesque, à savoir le vécu des Noirs américains face au racisme, au préjudice, et à la ségrégation établie aux États-Unis depuis les temps esclavagistes, et malgré les avancées du mouvement des droits civiques.

« God help the child » débute avec Sweetness, une afro-américaine à la peau claire, qui s’acharne à protéger son enfant, Bride, dont la couleur noir-bleu de la peau, élicite des élans de rejet. Elle garde l’enfant cloitrée dans la maison, ose à peine la toucher, et refuse de lui tenir la main quand elle marche avec elle en pleine rue. Elle se persuade qu’elle agit de la sorte pour le bien de Bride, pour la protéger contre la cruauté du monde, contre les badauds blancs qui risqueraient de la malmener, contre les invectives des uns et des autres. Mais le comportement de sa mère laisse chez Bride des cicatrices indélébiles de frustration et d’insécurité. Elle n’était qu’une enfant assoiffée de câlins et d’autres actes de tendresse de sa mère, la personne la plus importante de son univers restreint.

Les chapitres suivants, surtout écrits à la première personne qu’à la troisième, présentent les autres personnages principaux du roman, tels que Brooklyn, la meilleure amie et collègue de Bride ; Sofia, une institutrice faussement accusée par Bride et ses autres élèves d’abus sexuels; Rain, une adolescente rejetée comme Bride par sa propre mère ; et Booker, l’amant de Bride.

Après son enfance cauchemardesque, Bride est devenue une jeune femme attractive, sûre d’elle même, de son attrait, et bien ancrée dans l’industrie de la beauté. Elle a réussi à transformer son tégument noir en un atout qui fait valser les yeux et les cœurs. Mais elle garde la distance envers sa mère. Pas de visite, juste des envois d’argent. Romantiquement elle est d’abord comblée puis rejetée d’un revers de main par Booker, un artiste dont le calme et la désinvolture ont fait fondre ses réticences.

Le départ de Booker de sa vie l’intrigue. Il l’a laissée sur cette phrase : « Tu n’es pas la femme que je veux », qu’elle ne cesse de ressasser. Elle doit le revoir, pour lui demander des explications, pour découvrir ce qu’il cache derrière son silence. Après avoir roulé des heures sur des routes de campagne, survécu de justesse à un accident de voiture, joui des soins et de l’hospitalité pendant des semaines d’une famille blanche, elle retrouve finalement Booker dans un parc à roulottes. Il arrive que lui aussi porte sur le dos le poids d’un passé encombrant, résultant de la mort de son frère ainé dans des circonstances tragiques. Il peine à s’extirper du deuil léthargique qui l’empêche de jouir pleinement de la vie. Tout comme Bride, il se retrouve traumatisé par les méandres du passé.

Dans ce roman, Toni Morrisson montre la persistance dans le présent de l’impact négatif des insécurités vécues pendant l’enfance. Bride, Booker, et Rain trainent tous derrière eux le lourd fardeau des souffrances survenues pendant leurs années formatrices. Mais, dans l’ossature du roman, surtout dans les chapitres relatifs à Bride, l’auteur expose les errements du racisme dans toute sa laideur. Mais pour Tony Morrisson, au lieu de s’écrouler sous le poids du préjudice, les Noirs doivent s’évertuer, tout comme Bride, à affirmer leur identité, et à imposer leur présence dans ce pays qui leur appartient autant qu’aux Blancs.

Dans « God help the child », comme dans ses dix autres romans, Toni Morrisson parle des Noirs Américains. Elle en a fait le creuset de son œuvre. En situant dans l’époque contemporaine cette ultime strophe de son long poème d’amour au peuple noir en général et au peuple afro-américain en particulier, elle montre que le spectre effrayant du racisme est toujours présent, et qu’il faut le combattre de toutes nos forces.

Mario Malivert


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