Publié dans Le Nouvelliste du 17 juin 2019
Chaque année de
nombreux cadres et étudiants des pays du sud s’envolent vers le Québec, le cœur
bourré d’espoir, la tête pleine de rêves. A quoi doivent-ils s’attendre ?
A travers son livre « Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo » (Mémoire
d’encrier, 2015), Dany Laferrière se propose d’enseigner à ces immigrés tout ce
qu’ils doivent savoir pour s’adapter au Québec. De son habituel ton léger, il
produit un livre dense composé de ses rencontres et conversations avec Mongo,
des notes de son carnet noir, des comptes rendus de ses émissions de radio, et
des chroniques semblables à celles de
son livre « Journal d’un écrivain en pyjama ».
« Une lettre
d’amour au Québec », lit-on à la quatrième de couverture. En effet, à
travers ce livre, Dany Laferrière retrace les grands moments du Québec, les
particularités des natifs, l’impact des saisons, la place de la religion, etc.
Les thèmes se suivent et se bousculent, exigeant l’attention du lecteur. On
peut entendre battre le cœur de la société québécoise à travers le regard de
l’auteur. Un regard profond, perspicace, celui d’un amant à l’être aimé. Un
regard pour dire merci au peuple québécois si enclin à aider, à accepter, et à
encadrer le nouveau venu : « Je crois que l’immigre devrait, s’il
veut poétiser sa relation avec l’autre, prendre la peine en arrivant de dire
merci aux gens qui l’ont si chaleureusement accueilli... » (Page 151).
Mongo, un Camerounais
dans sa vingtaine, fraichement débarqué au Québec, rappelle à Dany sa propre
arrivée à Montréal en 1976. Il avait dû apprendre tout seul tout ce qu’il
devrait savoir pour s’intégrer pleinement dans cette nouvelle société, et devenir
en cours de route ce grand écrivain que nous aimons tant. Avec ce livre il
transmet aux émigrés d’aujourd’hui les leçons glanées au cours de quarante ans
d’une vie de lecture et d’écriture, entre les cafés du coin et sa baignoire, les
changements de saison, les rumeurs et mouvances d’une ville qui ne cesse de
changer.
Les thèmes abordés
dans le livre sont si nombreux qu’on ne peut que citer quelques uns, tels
que : La bataille entre les langues (joual vs. français, anglais vs. français) ;
la priorité accordée au consensus plutôt qu’à l’individualisme ; la notion
de distance entre les gens : « Ne pas oublier que le Québec est un
pays de grands espaces. Les gens se tiennent à une certaine distance les uns
des autres. » (Page 78) ; la recherche de l’égalité sociale, d’où
l’insistance du tutoiement ; l’importance de regarder son interlocuteur
droit dans les yeux (signe de manque de respect dans d’autres cultures), etc.
Naturellement,
l’auteur fait souvent des comparaisons entre le Québec et Haïti, telles
que : « C’est qu’on préfère avancer en groupe au Québec. Alors qu’en Haïti,
on n’applaudit que celui qui se détache du groupe pour se lancer vers l’horizon
sanglant dans un sprint éblouissant mais souvent suicidaire. » (Page 124).
D’où l’émergence du novice politique à chaque élection présidentielle en Haïti,
avec toutes les dérives qui en découlent, depuis cette soi-disant transition
démocratique amorcée en 1986. En d’autres termes: « La misère exaltant la
foi, on finit par croire qu’aucune solution humaine n’est envisageable. On
attend alors ce messie capable de sauver le pays. » (Page 125).
« Tout ce qu’on
ne te dira pas, Mongo », loin d’être une simple collection de conseils
détachés et impersonnels, est une fenêtre ouverte sur la vie de Dany. Les notes
et réflexions découlent de l’expérience personnelle de l’auteur. Et, dans
certains endroits, la candeur est palpable: « Mes déplacements sont surveillés
et je ne sais toujours comment prendre cela. » (Page 133) ou « Moi le
nonchalant, qui me cachais derrière mes petits camarades, je ne suis protégé
aujourd’hui par aucune douce pénombre. Chaque mouvement de mon être, chaque
trait de mon visage est scruté par des yeux furieux ou distraits depuis
quarante ans.” (Page 132).
«Tout ce qu’on ne te
dira pas, Mongo» démontre encore une fois la générosité d’un grand écrivain,
son souci de partager sa vie avec ses lecteurs, de les inviter dans son
intimité. Ce livre est disponible cette année à Livres en folie.
Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com
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