Publié dans le Nouvelliste du 10 octobre 2019
Avec son recueil de
poèmes « La tentation de l’autre rive/Tantasyon latravèse», publié en 2013
par Trilingual Press, Charlot Lucien démontre qu’il est non seulement
caricaturiste et conteur, mais aussi poète. En effet, nous l’avons connu comme
l’auteur de « Ces Grosses têtes de l’actualité, ou du surréalisme
politique » et, plus tard, de multiples CDs de lodyans (de Ti Oma à Diogène Nèg Mawon), qui l’ont depuis propulsé dans
le rôle de porte drapeau du genre lodyans,
en digne successeur de Maurice Sixto.
“Livrée en quatre
livres, suivant la teneur ou l’humeur du moment, en français, un peu en créole haïtien,
en poèmes ou de façon contée voici ma soumission à cette tentation longtemps refoulée
d’une exploration plus poussée de cette autre rive de ma personnalité: ma créativité.”
Ces mots de l’auteur, tirés de la préface, enseignent sur le titre du recueil
de 112 pages et sur le livre lui-même : une collection de poèmes inspirés
au fil des ans par des évènements qui ont marqué le poète.
Les poèmes du Livre 1 parlent de paix, de guerre, de
séisme et de décombres, dans un langage clair qui décrit les sentiments du
poète. Chaque poème est un tableau, une histoire, avec début et fin, et souvent
de l’humour –surtout à la fin. Le poème « Une main s’élevant des
décombres », inspiré sans doute par le séisme du 12 janvier 2010, frappe
par la justesse des détails, l’invitation à s’engager et la fluidité du dire.
La main représente le rescapé gisant sous les décombres et demandant de l’aide,
donc métaphore et personnification pour nous exhorter à « Nous rassembler/Pour
aider à rebâtir/Une vie/Pour aider à rebâtir l’Espoir... »
Livre 2 nous offre des poèmes empreints de tendresse, des
poèmes d’amour qui exposent la fragilité du poète :
« C’est
mon cœur ensanglanté
Et
palpitant que tu tiens là
Entre
tes frêles doigts tremblants... »
L’auteur expose ses sentiments sans excès d’images. Il se
confie plutôt dans le paradoxe, l’effet de surprise, comme dans le poème
L’enveloppe:
« Merde
alors,
J’aurai
pu me retrouver
Dans
cette enveloppe
En
route vers toi,
Et
finalement entre tes doigts
Si
je n’avais pas été
Si
large »
Les poèmes de Livre 3, dont trois d’inspiration biblique
(La première pierre, L’impure et L’identité du Malin), sont pour la plupart du
genre narratif, et évoquent le talent de conteur de Charlot Lucien. Le style, ici,
perd un peu de son élan poétique, sauf dans le dernier poème du chapitre,
Aspirations spatiales, l’un des plus beaux textes du recueil :
« J’aspire
à faire pleuvoir des étoiles
Et
que tous les enfants du monde
En
attrapent
Et
en fassent couler les étincelles
Entre
leurs doigts impatients ; »
Livre 4, le dernier chapitre du livre, est une collection
de onze textes (dont quatre en créole haïtien) inspirés, pour la plupart, par
les héros des guerres de l’indépendance d’Haïti, tels que Jean-Jacques Dessalines
(Marie-Jeanne Lamartinière à la Crête-à-Pierrot), François Capois (Le baptême
de Capois-La-Mort), Christophe Henri (Henri Christophe ou la torche de la
liberté), Alexandre Pétion (Pétion et Bolivar, ou l’amitié des peuples) et
Toussaint Louverture (La dernière chevauchée du Général). Ces textes destinés à
la déclamation sont imprégnés d’envolées patriotiques. Les versions en créole
haïtien nous charment par la richesse des images et des comparaisons.
« La tentation de l’autre rive » se lit comme
une collection de poèmes et de textes disparates mais unis par deux
courants : un lyrique où le potentiel poétique de Charlot Lucien est
évident et l’autre narratif où son talent de conteur prend le pas. Sa poésie
privilégie le message. Le style simple, mais empreint de paradoxe et d’humour,
facilite la déclamation. L’auteur navigue donc entre le conte et la poésie. Comme
il navigue aussi entre l’expression orale et plastique, dans un foisonnement
créatif et artistique, il est clair qu’il a été depuis longtemps un habitué de « l’autre
rive », mais à son insu.
Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com
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