Publié dans Le Nouvelliste du 17 mai 2019
Cité Soleil, le plus
grand bidonville de Port-au-Prince, l’arrière-plan, en partie, de Rapatriés, le
premier roman de Néhémie Pierre-Dahomey, publié en janvier 2017 par les
éditions du Seuil, et repris en août 2018 par l’Atelier Jeudi Soir. Tout
naturellement l’on s’attend à de la précarité, de l’insalubrité, des
souffrances, de la sueur mixée au sang et aux larmes, aux gangs armés et aux
exécutions sommaires et insensées. Eh oui, l’on y trouve tout cela et même
davantage, dans ce roman qui nous rappelle bien un autre premier roman, celui
de Pierre Clitandre, Cathédrale du mois d’août (1980), ancré aussi à Cité
Soleil.
Ici le personnage
principal est une femme forte du nom de Belliqueuse Louissaint, Belli pour les intimes.
Et le roman s’ouvre sur la scène macabre d’un enfant jeté aux vagues rageuses
de la mer, lors d’un voyage sur un voilier de fortune en direction de la
Floride. Belli fut captée par la cote garde américaine et retournée quelques
semaines plus tard en Haïti. Mais cette perte tragique de son fils va la hanter
toute la vie, surtout qu’elle va plus tard refaire une expérience quasi
similaire avec d’autres progénitures.
Retour à la maison
sans son fils : Bastonnade en bonne et due forme de la main de son
concubin Sobner Saint-Juste, dit Nènè. « Une raclée biblique ». Installation
dans un coin de Cité Soleil alloué aux rapatriés, d’où le titre du livre. Et
c’est dans ce quartier que Belli va se faire une vie entre le marché Radotage où
elle vend des quincailles, la maison où elle élève une demi-douzaine d’enfants,
l’église protestante Israël-par-la-foi qu’elle fréquente par moments, et Nènè.
La vie à Rapatriés
est ardue, et la pauvreté extrême, révoltante. Mais Belli et Nènè, leurs
enfants Marline, Bélial, Luciole, leurs amis ou rivaux, arrivent à survivre
grâce aux rêves qu’ils couvent, aux défis qu’ils narguent, aux amours qu’ils
poursuivent, aux rixes et périls des jeunes, à l’humanité qu’ils possèdent tous,
en dépit de leurs maigres ressources. Le jeune romancier peint non seulement la
précarité, mais la lutte de ses personnages à y survivre. Les décisions pour
changer le cours du destin sont périlleuses mais surtout courageuses, et
traduisent le refus chez eux d’accepter leur triste sort.
D’habitude les jeunes
auteurs pèchent par excès de détails, voulant tout dire. Ce n’est pas le cas
pour Néhémie Pierre-Dahomey. Il donne à Rapatriés une structure simple :
sept parties ayant chacune trois chapitres. Utilisant un point de vue
omniscient, il passe d’un personnage à un autre, souvent dans le même chapitre,
pour décrire ce qui est nécessaire pour rendre chacun d’eux relevant.
Rapatriés ne traite
pas seulement de Cité Soleil. Une bonne partie du livre parle du séisme du 12
janvier 2010, de l’influx de l’aide humanitaire, et de Pauline Lagarde, une
militante française, dont le destin va se lier à celui de Belli, ouvrant ainsi
une porte sur Agey, en France, près de Dijon. Ce qui donne à l’auteur
l’opportunité de contraster la précarité de Cité Soleil à la plénitude d’Agey, son
ton passant de la dérision à la sensibilité, de la vocifération au langage
feutré, empreint d’intelligence et de subtilité.
Ses phrases plutôt
complexes se laissent dégouliner, parfois avec des expressions familières, mais
souvent avec des mots évocateurs du vécu haïtien, tels que pâtés cordés,
calottes, caleçon, galet, gobelet, deux-trois (« il se faisait accompagner
par deux-trois fidèles de l’église »), panier-latanier, etc. Son humour
imprègne tel un baume les chapitres indigestes du roman, tels ceux abordant les
démêlées de Belli et son entourage dans Les-Miracles et Rapatriés, et ceux des
fous du champ-de-mars au lendemain du séisme du 12 janvier.
Avec ce roman, Néhémy
Pierre-Dahomey a frappé un grand coup et mérite fort bien les prix littéraires
qu’il a gagnés. Pour se joindre au cercle restreint des écrivains illustres de
sa génération, il ne lui reste qu’à continuer à écrire, et à poursuivre ses
forages dans la psyché non seulement haïtienne mais universelle.
Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire