Publié dans Le Nouvelliste du 28 mars 2019
Qui est Evans “KP”
Paul? est la question que se pose Jean-Robert Hérard, et qu’il propose de
répondre à travers les 291 pages de son livre du même nom publié en 2018 par C3
Editions. Le sous-titre du livre, Parcours tumultueux d’un militant, révèle déjà
qu’Evans Paul est un militant, donc quelqu’un qui a dédié sa vie à défendre une
cause, qui a consenti des sacrifices à poursuivre un idéal, et dont le parcours
a été jalonné de tourments.
La première page du
livre précise qu’il s’agit d’une biographie non autorisée, c’est à dire sans
l’aval de M. Paul. Pourquoi tant de réticence de la part d’une personnalité
publique à laisser un témoignage écrit de sa vie et ses œuvres aux générations
futures ? Est-ce à cause, comme avance l’auteur, de « la faune
peuplée de fauves » qu’est l’espace politique haïtien?
Enfance et adolescence
Né le 26 novembre
1955 d’Athémise Paul et d’Aronce Alexis, Evans Paul passe ses premières années
à Port-au-Prince, à l’avenue Lafleur Ducheine, puis à la rue Saint-Honoré,
« dans une ambiance hostile au régime des Duvalier ». A-t-il des
frères et sœurs ? L’auteur mentionne une seule sœur, Amenta Paul.
L’influence de la mère est palpable sur le jeune Evans, car elle élève seule
ses enfants, son mari, un partisan de Daniel Fignolé, ayant disparu depuis
1958.
Mme Paul a toujours essayé
de préserver ses enfants des risques du militantisme, à cause sans doute non
seulement de la disparition suspecte de son mari, mais aussi du climat
« de terreur et d’horreur du régime ». Elle interdit à la maison
discussions et commentaires sur les agissements du régime, ainsi que la
participation du jeune Evans dans la quête de billets de banque envoyés par Dr
Duvalier de sa « Mercedes noire » lors de ses passages à la rue Saint-Honoré,
lui disant : « C’est aux chiens qu’on envoie des choses par terre,
pas aux humains ! »
La plume et le micro
Dans sa vingtaine,
Evans Paul s’engage dans le théâtre en créant en 1975 la troupe Konbit Pitit
Kay (KPK) qui jouera sa fameuse pièce Debafre, et dans la radiodiffusion à
Radio Cacique où il anime une émission journalière. Deux évènements majeurs
vont marquer sa vie à cette époque et l’orienter sans doute vers le militantisme :
l’assassinat du journaliste Gasner Raymond, le 1er juin 1976, et la
mort de sa sœur Amenta, à l’âge de 16 ans, au Stade Sylvio, le 11 décembre
1976, lors d’une échauffourée entre des unités militaires des Casernes Dessalines
et du Corps des Léopards.
« La plume et le
micro » vont permettre à Evans Paul de s’engager, aux côtés d’autres
militants « de la presse indépendante et les organisations politiques et
de droits humains », dans le mouvement anti-duvaliériste de la décennie
1970 – 1980. Son statut de militant et opposant au régime des Duvalier s’impose
de plus en plus, ainsi que son pseudonyme Konpe Plim (plus tard KP).
Arrestations et bastonnades
Elles commencent très
tôt dans la carrière du militant. La première : un 16 octobre 1980, Evans
Paul rentre au pays après une tournée à New York, où il a rencontré des
opposants au régime des Duvalier. Il est arrêté à l’aéroport de Port-au-Prince,
à sa descente d’avion, et emmené aux Casernes Dessalines pour être interrogé et
torturé. Ses tortionnaires « l’ont fait compter 80 coups de bâton ».
Octobre 1984 :
deuxième arrestation d’Evans Paul, encore à sa descente d’avion, suite à un
voyage aux États-Unis et au Canada. Cette fois-ci, interrogé par le colonel
Emmanuel Orcel, il n’est pas torturé.
Troisième
arrestation : 1er novembre 1989, sous la présidence du général
Prosper Avril et des « petits soldats », Evans Paul est arrêté dans
une maison d’Arcachon 32, en compagnie de Marino Etienne et de Jean Auguste
Mezyeux. Ils sont sévèrement battus et exhibés à la Télévision Nationale d’Haïti,
couverts de pansements, le visage endolori et tuméfié. Surnommés
« Prisonniers de la Toussaint » par Marvel Dandin, leur arrestation
génère une mobilisation massive tant en Haïti qu’à l’étranger contre « la
folie meurtrière du Général-Président ».
Finalement le 7
octobre 1991, dans la foulée du coup d’État du 30 septembre 1991 par le général
Raoul Cédras, alors qu’il était Maire de Port-au-Prince, Evans Paul est attaqué
et tabassé par des militaires dans la salle de départ de l’aéroport.
A part ces instances
d’arrestations et bastonnades, Evans Paul a échappé à plusieurs tentatives
d’arrestations, et passé des mois et même des années dans le maquis pour fuir
les persécutions politiques et, tout simplement, pour rester en vie.
Jean-Robert Hérard a le mérite de consigner ces périodes de tumulte à grand
renfort de citations et de détails.
Le militant au pouvoir
A part les tourments
causés par son opposition aux régimes des Duvalier et des militaires, Evans
Paul a habité aussi l’espace du pouvoir, en tant que maire de Port-au-Prince,
en 1991 et 1994, sur le gouvernement de Jean Bertrand Aristide, et de Premier
Ministre, en janvier 2015, sur celui de Michel Joseph Martelly.
Élu maire de Port-au-Prince
pour une période de quatre ans, Evans Paul n’a passé que 15 mois à son poste.
Il considère son passage à la mairie comme « insatisfaisant ».
Comment qualifie-t-il son passage à la primature, qui a été aussi de courte durée ?
Qui est Evans « KP » Paul ?
Des années 70 jusqu’à
ce jour, Evans Paul représente une figure incontournable dans la mouvance
politique haïtienne. Il a côtoyé tous les acteurs tant haïtiens qu’étrangers
qui ont peuplé l’échiquier politique haïtien. Avec l’âge et l’expérience, il se
défait de l’ardeur du militant intransigeant, pour épouser un ton plus conciliant
à travers son mouvement présent, le vivre-ensemble. Il a toujours milité contre
l’exclusion, en témoigne son rejet du fameux slogan « makout pa ladan
l » des premiers mois de la transition démocratique de l’après-Duvalier.
Il se révèle un militant loyal, farouche même, mais qui prône le dialogue même
avec ses pires adversaires, d’où son rôle primordial dans les négociations qui
ont abouti au départ des putschistes du 30 septembre 1991 et au rétablissement
de l’ordre constitutionnel.
Pour répondre à la
question Qui est Evans « KP » Paul ? Jean-Robert Hérard a relaté
l’activisme de M. Paul, ses hauts et ses bas dans le jeu politique, ses prises
de position conjoncturelles, et son évolution du militant au rassembleur. Ce
livre qui se veut une biographie se lit souvent comme un manuel d’histoire, où,
hormis le premier chapitre, les faits marquants des quatre dernières décennies
sont présentés à pied joint accompagnés de quelques impressions et parfois de
commentaires de M. Paul. Ainsi, après la lecture du livre de Jean-Robert
Hérard, l’on se pose maintenant la question : Qui est Evans Paul, en
dehors de la politique ? Car peu est dit sur sa philosophie de la vie, sur
sa foi religieuse, s’il en a, sur sa vie sentimentale, sur ses lectures et
auteurs préférés, sur son éducation, sur ses enfants, s’il en a.
Mais, pour les
amateurs d’histoire politique contemporaine, ce livre est une vraie cache de
faits, d’anecdotes, de dates et tournants historiques, et d’acteurs politiques.
Tout y est, ou presque, du Duvaliérisme au PHTK, en passant par les régimes des
militaires, de Manigat, de Trouillot, d’Aristide, et de Préval ; tous les
coups d’État réussis ou manqués ; tous les meurtres et assassinats commis
au nom de la République.
Qui est Evans Paul ?
Militant de la première heure, dramaturge, homme politique, Ex-Maire de
Port-au-Prince, et ex-Premier Ministre. Mais aussi, et surtout, un homme qui a
su pardonner ses anciens bourreaux, ce que retiendra sans doute l’histoire.
Ainsi, son parcours tumultueux ne rappelle-t-il pas celui d’un certain Nelson
Mandela ?
Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com
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