L’itinéraire d’un génie


Paru dans Le Nouvelliste du 18 février 2019



Finalement, grâce au professeur Ethson Otilien, nous avons un livre sur Maurice Alfredo Sixto, d’une méthodologie scientifique, rigoureuse, digne de la dimension colossale de l’auteur de Leya Kokoye et de Ti Sentaniz : « Maurice Sixto ou le phénix de l’oraliture haïtienne », un titre fabuleux, publié en juin 2018 par Jebca Editions.

Origine et parcours de Maurice Sixto
Le livre commence avec une biographie de Maurice Sixto. Le plus illustre « lodyanseur » haïtien a vu le jour aux Gonaïves, le 23 mai 1919, où il fait une partie de ses études primaires chez les Frères des Gonaïves. Il complète ses classes humanitaires à Port-au-Prince, à la Pension St Louis de Gonzague. Après un court passage à l’académie militaire, il poursuit et complète ses études de droit à la Faculté de Droit de Port-au-Prince.

Du point de vue professionnel, Maurice Sixto s’est essayé dans plusieurs métiers. De 1938 à 1948, il travaille comme journaliste au journal Le Matin, et plus tard comme annonceur à la radio MBC. Il travaille aussi comme enseignant de littérature et d’anglais et comme traducteur d’anglais et d’espagnol à l’ambassade américaine en Haïti.

Un tournant décisif se produit dans la vie de Sixto en 1960, quand il fait partie du premier contingent de professeurs haïtiens à se rendre à la République Démocratique du Congo. Là, il enseigne les sciences sociales, le français, l’anglais, et le latin. Il enregistre la plupart de ses œuvres pendant son passage en Afrique.

Les différents métiers de Maurice Sixto lui ont permis de commercer avec les diverses couches sociales du pays. Doté d’une mémoire d’éléphant, il a pu emmagasiner conversations, mœurs, tares, pratiques sociales, qui vont devenir personnages, trames, dialectes, scènes et lieux de ses lodyans. Comme il intitule ses disques, « Choses et gens entendues », la plupart de ses personnages sont des personnes réelles qu’il a côtoyées.

Dans la partie biographique du livre, Ethson Otilien prend le soin de consulter plusieurs sources avant d’avancer les dates et faits de la vie de Sixto, produisant ainsi un travail de référence fiable pour les futures générations.

Le style de Maurice Sixto
A côté de la recherche d’une documentation rigoureuse sur les faits qui ont marqué la vie de Sixto, Ethson Otilien accorde une bonne partie de son livre à explorer le style de Sixto, afin de déceler sans doute les secrets de son succès, les ingrédients de son génie. Celui qui a choisi la lodyans comme genre, et le Créole comme langue, se donne l’accès à toutes les strates du pays. Ses lodyans ont connu un succès monstre, et son œuvre en général constitue le standard de ce genre.

Otilien note dans le répertoire de Sixto l’emploi de figures de style, notamment « la métaphore, la comparaison, l’ironie, la métonymie, l’onomatopée, etc. » Métaphores et comparaisons illuminent ses lodyans et persistent dans l’imagination des auditeurs. L’auteur de Gwo Moso choisit soigneusement le nom de ses personnages (« système onomastique »), tels Leya Kokoye, Ti Sentaniz, Chantoutou, etc. pour qu’ils enseignent sur leurs personnalités respectives.

Les lodyans de Sixto sont en majeur partie en créole, mais certains de ses personnages s’adressent en français, en espagnol, ou même en anglais, selon les circonstances. D’autres utilisent un « français (ou un créole) approximatif ou mélangé. » Dans toutes les situations, la langue parlée par les personnages reflète des connotations sociales dont l’auteur veut signaler la dérision ou la vanité.

Sixto et la pratique du vodou
« L’imaginaire vodou demeure une composante mystique ou mythologique de la vie des personnages de Sixto », disons plutôt de la vie de la majorité des haïtiens. Sixto le reconnait fort bien. Même de nos jours, il suffit d’une maladie dont on ne perce pas la cause pour lui donner une origine surnaturelle.

Plusieurs des personnages de Sixto affirment leurs allégeances au culte vodou, tel que Gwo Moso, qui s’en sert en outil d’intimidation ; mais d’autres prétendent le rejeter, tel que cet avocat dans « La petite veste de galerie de papa », cité en ces termes par Otilien : « Ah Encore cette affaire ! Il faut finir avec le vodou mes chers amis, ça abêtit le peuple...»

Les insultes et les gros mots de Sixto
On les retrouve dans les lodyans interdites de Sixto , celles dont les disques ou les CDs ne sont pas disponibles sur le marché, celles dont les propos grivois étonnent et choquent. Certains auteurs puristes ou prudes excluraient ces lodyans de leur analyse, mais pas le professeur Otilien. Pour lui, il est clair, ces lodyans font partie intégrale de l’œuvre de Sixto et enseignent sur la psyché du lodyanseur.

Pour camper Maurice A. Sixto, ce géant de la culture haïtienne, Professeur Ethson Otilien a minutieusement consulté les documents disponibles sur la vie et l’œuvre de Sixto, et rencontré ses contemporains encore vivants, afin de nous présenter « un essai, non pas pour combler ce vide [manque de travaux d’analyse sur Maurice Sixto] mais pour offrir au lecteur l’esquisse d’un premier coup de pioche, une brèche critique creusée dans l’immense travail de Sixto ».
Nous saluons cette esquisse, la rigueur des arguments, l’exhaustivité des approches, et nous attendons avec impatience les essais à venir, ceux dont la dimension nous aidera à apprécier à leur juste valeur les lodyans de Maurice Alfredo Sixto.

Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com

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