Article publié dans Le Nouvelliste du 14/8/2018
https://lenouvelliste.com/article/191077/le-vide-qui-bat-son-plein
Dans son recueil de poèmes Le vide, La ville paru en 2016
dans la collection L’Immortel de JEBCA Editions, Mlikadol’s Mentor ajoute une
gerbe au bouquet de fleurs consacré aux villes. Pour une raison ou une autre, il
pousse l’ellipse au paroxysme en ne citant point le nom de la ville à travers
les 65 pages du livre. Mais il en parle en long et en large, et ce faisant nous
aide à découvrir l’identité de cette ville : « Rien petit prince/Que
le noir de la nuit/Plus noir/Dans la ville des princes » ou « Rien
que ton sang/Ne peut suffire/Pour rebâtir le port/Des princes de ta
ville » (P. 32) ou encore « Sois aussi prince/Que paix de
prince » (P. 61).
Avant tout c’est une ville vide, qui n’existe même pas:
“La ville pour moi/N’existe pas”; certes, mais faite “De nuages/De sang/De
discours/Et de futur/En ballotage” (P. 32). Le vide ici est au sens figuré,
c’est l’état d’âme du poète: “Je possède/La ville en moi/Le vide en moi” (P.
24). Donc le poète transpose sur la ville son sentiment de
vide. Il transpose aussi ses inquiétudes: “La ville forte de ses/Inquiétudes/S’attaque
à mes nuits” (P. 17), ses échecs et dégouts : “Ma ville/N’est à
personne/Je l’ai bâtie/De mes échecs de mes égouts/De mes dégouts/Ma ville
d’incertitude » (P. 32), et sa douleur: “Toute ma ville habite/Cette
page/Il sortira de cette page/La fin du monde/Et des poèmes pour hommes/En quête
de douleur” (P. 35).
Mlikadol’s Mentor transpose aussi sa souffrance au
monde—fait-il de sa ville et du monde une seule entité ?—qui devient ainsi
creuset de la souffrance : « Blessure ouverte/Au cœur du monde »
(P. 13) ou « Tu ne verras du monde/Que le luxe/De la souffrance » (P.
14). Même le bonheur n’échappe pas à l’âme endolorie du poète : « Le
savais-tu ? Un bonheur/Ça se nourrit de maux...Désormais la souffrance/Est
maitresse » (P. 9).
Le poète chante sa ville, mais veut aussi la changer, la
réinventer : « Je cherche un nouveau mot/Pour lui dire cette
insolence/Un nouveau soleil/Pour ce nouveau défi » (P. 8). Il déplore les clichés,
sans doute aussi les stéréotypes, qu’elle endure : « Le monde que je
raconte/N’est pas une histoire/De clichés » (P. 10) et « Sans nouveau
visage/Le monde soudain devient/Cliché » (P. 11). Mais que va-t-il faire du
doute qui l’habite ? « Ici/On doute encore de la vie/On doute encore
du doute » (P. 59) ou du fatalisme ? « Toute ma ville
habite/Cette page/Il sortira de cette page/La fin du monde/Et des poèmes pour
hommes/En quête de douleur » (P. 35).
Le style de Mlikadol’s Mentor est simple, concis, dénué
d’échappées vertigineuses, de mots rares qui engourdissent la lecture, ou
d’envolées alambiquées. Cependant, les mots qu’il choisit, bien qu’ordinaires,
sont enceints de nuances et de symbolisme, et s’arrangent dans un rythme haché rendant
le message multiple, subtil, et même parfois énigmatique. C’est une poésie
engagée, qui puise dans le contexte social d’Haïti, mais qui évite le ton
agressif, violent même, d’autres poètes. Mentor parcourt sa ville à pas feutré,
timide, comme pour ne pas perturber son vide et son silence.
En fin de compte Mlikadol’s Mentor contemple déjà le
futur de la ville, son legs à l’enfant, le prince qui le remplacera, et termine
ainsi son livre :
Je
te laisse mon pouvoir
De
prince déchu
Je
te laisse ma ville
Royaume
Aux
heures perdues
Je te
laisse
L’avenir
Vide
Que
je n’ai pas eu le temps
De
remplir
Je
te laisse le monde
Prince
(P.
63)
Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com
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