Publié dans Le
Nouvelliste du 28/9/2018
Il y a des œuvres qui
transcendent leur mission esthétique pour devenir un testament de l’auteur, où
l’âme du poète se révèle à nu sous nos yeux, où le poète parle de son double,
des rumeurs de son idéal, des interstices de sa foi, de sa raison d’être sur
cette terre, dans cet univers multiple et labyrinthique. Voilà ce qu’illustre
le recueil Silex de Fred Edson Lafortune, l’un des joyaux, paru en 2016, de la
Collection L’Immortel de JEBCA Editions.
D’ailleurs, le
recueil s’ouvre avec En guise d’introduction, où Fred Edson Lafortune révèle
pourquoi il écrit: “Une recherche incessante, née de ce fou et profond désir de
trouver mes ailleurs, mes dehors, mes doubles, comprendre qui je suis réellement,
même au-delà de notre espace-temps.” Ici, ce n’est pas un hymne à la nature, à
une ville, à l’amour, à une cause sociale ou politique, mais à une quête
existentielle. Une démarche ambitieuse qui exige un questionnement, une vulnérabilité,
une candeur inouïe. Et le silex dans tout cela?
Il faut au poète une
métaphore, un symbole intemporel, une réalité permanente, un élément physique traduisant
les temps millénaires: le silex, dans sa parure préhistorique et ésotérique,
dans son armature indestructible. Le silex, qu’il appelle « la précieuse pierre
noire », et qu’il étend à toutes les autres pierres. Le silex, qui revêt
pour lui des pouvoirs surnaturels :
« tant que tu te souviennes du symbolisme de la pierre, du saphir, du rubis,
diamant, émeraude, des pierres philosophales taillées par la transhumance du
temps, qui ne sont pas celles qui blessent, frappent, lapident, tuent, mais de
la précieuse pierre noire de la montagne...qui guérit et purifie et harmonise
les débris de nos songes...» (Page 17)
« Vive la
pierre ! Celle dont la dureté/affermit le symbolisme des nombres » (Page
13), celle dont les artéfacts intemporels, voire immortels, se voient encore à
travers le Kaaba ; les Moaï, statues de l’Ile de Paques ; ou le monument
préhistorique de Stonehenge. Pour Fred Edson Lafortune, la pierre symbolise l’élan
sempiternel vers la spiritualité pure, positive, porteuse de réponses à nos
multiples maux: « Telle rumeur de la pierre/Nous sommes tous des
anges/Possédant la clé du mystère des Bermudes/Pour guérir le monde et son
double/De leur chaos d’éternité » (Page 30).
Dans sa quête, le poète
« épouse des mondes parallèles » qui le découpent en « multiples
exemplaires ». En effet, ne chante-t-il pas aussi bien les loas du vaudou, « Je viens de la
montagne/Feraille Ȏ/Je viens d’un autre monde » (Page 11), que les
symboles judéo-chrétiens, tels la croix ou le sang du Christ « Passio
Christi, confortame...Ah ! Il est venu le temps d’ouvrir la porte de la
miséricorde et boire le dernier coup du sacré nectar » (Page 80).
Quand il ne se lance
pas dans des échappées mystiques, Fred Edson Lafortune se laisse aller à
chanter D’jannie : « C’est bien la pluie mon amour/Qui vient tam tam
au cou/Avec sur l’élan de ton corps légendaire/La triste chanson des
saisons » (Page 22) ou Joanne : « Joanne des mots gonflés
d’orgasmes/Je connais par cœur/Cet amour qui s’accroupit comme des mers
endormies » (Page 35), ou cette femme qu’il refuse de nommer : « Ton
sexe/Un pan de ciel/Ton corps/Un instant d’éternité » (Page 48). Cependant,
même en chantant l’amour, le poète peine à se détacher de ses préoccupations
spirituelles. Ainsi allie-t-il son pourchas érotique à son élan mystique :
« Je trouve ma part d’éternité dans la genèse de ton corps tel ce coucher
de terre qu’on regarde depuis la lune» (Page 70).
Tant par son style
riche, limpide, et imagé que par son message candide et profond, Fred Edson
Lafortune a écrit un recueil de poèmes, à l’instar de son titre, dont les
traces resteront indélébiles à travers le temps. C’est un recueil qu’on ne peut
cerner qu’après plusieurs lectures, tant il recèle de strates aux
interprétations multiples et de soubassements ancrés dans des dogmes
millénaires.
Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com
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