Publié dans Le Nouvelliste du 15 mai 2019
Avec un titre
modeste, Dérives des cerfs-volants, et une page de couverture un tantinet
enfantine, Les Editions Pulùcia nous livrent le dernier livre de poèmes de
Georges Greffin. Cependant, dès les premiers pages, force est de constater que
ce livre constitue un formidable obus de mots, de vers, d’images, de
métaphores, de figures de style, d’assonances, et de dissonances ; un
livre qui exige l’usage d’un dictionnaire pour déchiffrer les codes et les mots
de passe dans la tentative souvent vaine de percer le message d’un poète qui
laisse couler sa verve à bride abattue.
« Avec un grand
plaisir, Georges Greffin prend la poésie pour champ de labour. Et il ratisse
grand et loin. » dit justement Maurice Cadet dans la préface du livre. Le
plaisir des mots, des tournures épatantes, de la sonorité, voilà ce qui
transporte le lecteur à travers les 215 pages du livre. La plupart des poèmes
traduisent un tour de force, une projection en avant, une multiplicité d’images :
(« Des larmes courtisent nos rides imitant les lacets de ruisseaux sur le
lit des ornières »), entre le réel et l’irréel : (« Un soleil
hystérique assure la mise en pages des caractères imaginaires de
l’espace »), entre la logique et l’absurde : (« je m’appuie sur
ton ombre » ou « à ce spectacle horrible de beauté »).
La relecture est
exigée pour au moins capter le message souvent caché des poèmes. Il y a
cependant des exceptions, tel le formidable poème Cliché de guerre ou mémoire d’une
folie, où Georges Greffin évoque « la folie nazie » de la deuxième
guerre mondiale, dont l’impact se résume dans ce vers : « La guerre
nettoie sans le vouloir les égouts de l’Histoire » ; ou les poèmes
VIII et IX de Chronique Inachevée, dont le lyrisme nous transmet la candeur
surprenante du poète: « D’errance en errance, de dérive en dérive / J’ai
pris des détours et connu des tragédies inavouées. » ; ou cette
strophe splendide : « La nuit venue j’habite une circonférence de
lune. / Je dors sur une fortune de mots d’espèces tendres. / Un matelas de rêves
et d’illusions / de poussières d’étoiles / de retailles d’aube et de divinité /
de billets d’azur à l’effigie de notre éternité. Je te dois le centuple de ce
qui m’est légué. / Ȏ muse adorée ! » ; ou le poème Ȏ
Haïti ! Ȏ mon pays ! qui s’ouvre ainsi : « Entre les
effervescences concentriques / et les détours de l’Histoire / tout un peuple
s’endort Nuit debout / dans l’atelier de ses privations / où couvent l’orage et
le vent / parmi le bétail et le foin, / les bactéries et les vibrions / les
anophèles et les pucerons. »
Dérives des
cerfs-volants est de ces livres qu’on ne finit jamais de lire, car à chaque tournure
ou courbure de mots, le livre recommence, la fête rebat son plein ; son
plein d’images, de métaphores : « vocable de papier je fus avec les
signes visibles de ma vieillerie sans âge », de figures de style :
(« Si long est le tracé / bien court est le périple)». L’idée est de
savourer le dire, de célébrer chaque mot, chaque image, chaque vers, au
compte-gouttes ; et de partir avec Georges Greffin à la découverte de
jouissances poétiques.
Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com
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