Publie dans Le Nouvelliste du 8 avril 2019
L’Ange du patriarche
de Kettly Mars : un thriller, une descente vertigineuse dans les
entrailles du monde des invisibles, où les esprits bons ou méchants
s’affrontent dans une lutte sans merci pour le contrôle des humains. Les
personnages sont ou bien collabos ou résistants. Les collabos agissent comme
des zombis ; ils sont charriés et manipulés comme des marionnettes. Les
résistants invoquent le support des archanges. Le sang gicle sur les murs. Les
ombres glissent sur les ailes du vent. Les démons exhalent une « légère
odeur de poil roussis », de « chair vive qui n’arrête pas de brûler
doucement ».
Le roman débute
tambour battant avec cette phrase simple : « Edwin et Wanika ne font
qu’un sur la moto. » Leur destination : Montagne Noire, ou plus
précisément une fête où « [l]a plupart des filles à la soirée buvaient
beaucoup et ne se faisaient pas prier pour onduler des hanches et des fesses
entre deux ou trois partenaires. » Mais, le clou de la soirée va se
produire après la fête, après la longue descente vers Pernier, entre Edwin et
Wanika, un frère et une sœur, seuls dans l’appartement qu’ils occupent, éreintés
et à moitié ivres, les nerfs encore à fleur de peau, les sens encore obnubilés
par Éros. Le spectre de l’inceste plane dans l’air. Edwin et Wanika tanguent au
bord du gouffre. Une tentation insoutenable, Wanika comme possédée, subjuguée
par un esprit puissant. Mais rien n’est encore dit de l’Ange. Ce n’est que le
prologue.
Il faut attendre le
cinquième chapitre, avec l’introduction d’Emmanuela, son fils Alain, son concubin
Serge, et sa cousine Paula ou Couz, pour faire la connaissance du vilain de
l’histoire, l’ange Yvo ou le marquis de Truitier, dont le pacte conclu avec Horacius
Melfort, l’arrière-grand-père d’Emmanuela, n’a pas été honoré par celui-ci,
générant la fureur de l’Ange. Soixante-cinq ans plus tard, l’ange Yvo est plus
que déterminé à débarrasser la terre, une fois pour toutes, non seulement des
descendants de cette famille, mais de quiconque s’associe avec eux. Qui peut le
stopper ? Couz se porte volontaire, avec l’appui de l’archange Michaël.
Va-t-elle réussir ? La survie de toute une famille dépend de sa ténacité.
Elle est sans doute la super héroïne choisie pour dévier les plans de l’Ange,
mais Emmanuela est la personne désignée pour porter le coup de grâce.
En attendant, l’ange
Yvo poursuit son projet de vengeance. Certains membres de la famille meurent un
jour d’anniversaire, « où l’on retrouve pour vingt-quatre heures l’énergie
placentaire originelle. Celle dont se nourrit l’Ange. » A Nantes, Jacques,
le frère de Couz, succombe dans son bureau le jour de son anniversaire. A
Chicago, Beverly, nièce de Couz, poignarde le jour de son dix-septième
anniversaire, sa sœur jumelle, Samantha. D’autres se laissent emporter par
l’inceste, le leurre du Bouk kabrit. A Philadelphie, Elvire, une des sœurs de
Couz échappe de justesse au viol par son propre fils Billy Boy. Amédée, frère
de Couz, a dû s’exiler à Cuba, après avoir violé Solène, sa fille de 10 ans.
Mais Wanika veut encore aller plus loin : avoir un enfant de son propre
frère. L’Ange accumule aussi des victimes collatérales, telles qu’Edwin, le frère
de Wanika ; Serge, l’amant d’Emmanuella ; et Jean-Michel-Basquiat,
l’ami d’Alain.
Le danger est
permanent, le suspense tendu. Kettly Mars conduit la saga en main de maître
comme une chef d’orchestre. Les détails multiples et divers ne sont pas lancés
au hasard ; ils ont tous leur rôle à jouer. Les mots se faufilent à un
rythme effréné, étourdissant, comme pour ne rien omettre. Certains chapitres se
cantonnent au récit, d’autres ouvrent la voie à l’exploration des sens, des
multiples réalités. Emmanuela fait un va et vient sempiternel entre les mondes
visibles et invisibles, entre le christianisme et le vaudou, cherchant à la
fois la protection d’Ogou et celle de l’archange Michaël.
Dans ce roman
palpitant, Kettly Mars nous conduit entre les interstices des mondes, où les
ombres et les doubles s’entrecroisent, où les femmes narguent les esprits et
sauvent leur famille « avec la parole qui brûle les ténèbres, le verbe de
feu qui rachète la faute ancestrale... » L’Ange du patriarche n’a rien à
envier aux thrillers de Stephen King et siérait bien au grand écran, si
seulement Hollywood sort un peu des sentiers battus.
Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire