Paru dans Le Nouvelliste du 17 juin 2018
https://lenouvelliste.com/article/186928/la-democratie-haitienne-un-produit-importe-et-expire
Avec la fin de la
dictature des Duvalier, en 1986, tout porte à croire que les Haïtiens ont opté
pour « un régime politique, un système de gouvernement, dans lequel le
pouvoir est exercé par le peuple, par l’ensemble des citoyens», donc pour la
démocratie. Cette velléité démocratique est confirmée par la Constitution de
1987, votée massivement par la population dans le référendum du 29 mars 1987.
Cependant, trente ans après ce vote, cette constitution est très souvent
décriée par certains, même après des amendements introduits en 2011, et le
système de gouvernement qui en découle peine à engager le pays sur les voies du
développement et de la modernisation. En fait, plus d’un considèrent Haïti un
pays malade, un état en faillite, une nation en dérive. Que faut-il faire donc
pour sauver Haïti ? Faut-il changer de système de gouvernement ?
Faut-il encore amender la Constitution ? Gineaud Louis, dans son ouvrage, Démocratie Universelle en Haïti, Élections
ou Sélections ? explore les faiblesses de la démocratie haïtienne et
propose des solutions.
Comme évoqué par le
titre du livre, l’auteur emploie le concept de démocratie universelle pour
parler du système de gouvernement en vigueur en Haïti. Il précise que
« [l]a démocratie universelle se déroule sous la férule des grandes
puissances économiques et des multinationales pour soustraire la volonté du
peuple aux travers d’élections truquées. » (Page 18). Il parle donc d’une
démocratie exportée et même imposée par les pays du Nord, et la met justement
en question, à l’instar de plusieurs penseurs politiques contemporains, comme
rapporte le philosophe Florent Guenard dans une entrevue accordée sur son
livre, La démocratie universelle: « Si
la démocratie produit aujourd’hui une grande insatisfaction dans les sociétés
européennes, la croyance dans l’universalité de son modèle continue de la
définir. »
La pauvreté et l’analphabétisme des électeurs
Les grandes
puissances, selon l’auteur, résumant la démocratie universelle à l’organisation
d’élections au suffrage universel, ont négligé deux facteurs qui sapent
l’intégrité du vote des électeurs : la pauvreté et l’analphabétisme. « En
toute évidence, la situation infra humaine dans laquelle se trouve la majorité
de la population haïtienne ne favorise pas la construction d’une société qui
sanctionne ses candidats de manière judicieuse, opportune et éclairée. »
(Page 53). La précarité économique incite les acteurs, à tous les échelons de
la machine électorale, à s’engager dans des actes frauduleux au bénéfice des
candidats opulents. Alors que l’analphabétisme rend l’électeur crédule et une
proie à la manipulation : « Plus on est analphabète, moins on est
capable de réfléchir sur les enjeux des élections. » (Page 67).
La pauvreté des électeurs peut les rendre influençables,
certes. Mais c’est surtout le cas des observateurs électoraux, des mandataires,
ou des membres de bureau de vote. L’électeur lambda ne se laisse pas toujours
acheter. A preuve, dans les dernières élections, plusieurs candidats populaires
de l’opposition arrivaient à se faire élire, au grand dam des faiseurs de rois.
Quand à l’analphabétisme, il n’équivaut pas toujours à l’idiotie.
« Analfabèt pa bèt » aimait dire l’ancien président Aristide. Beaucoup
de gens sont illettrés, non à cause d’un quotient intellectuel bas mais tout
simplement par manque d’accès à l’éducation, et certains sont mêmes devenus des
notables dans leur communauté—N’avions nous pas eu des parlementaires et même
des présidents analphabètes ?
Le vote populaire cloué au pilori
Le suffrage universel
direct est l’un des tenants de la démocratie universelle. Cependant, avec la
pauvreté et l’analphabétisme des électeurs, et le contrôle de la machine
électorale par des groupes d’influence à la solde de la Communauté
Internationale, le vote populaire est rendu caduque, « [d]’où la nécessité
de développer...des mécanismes modernes afin de [le] contourner. » Gineaud
Louis suggère « un système politique proportionnel de nomination de
parlementaires chevronnés, aptes, compétents, habiles, honnêtes, doués et
expérimentés, issus de partis politiques [pour] corriger l’absurdité du vote
populaire. » (Page 69).
Avant de penser à éliminer le suffrage universel direct,
on devrait d’abord essayer d’affermir les maillons faibles de la machine
électorale, par exemple en développant des programmes efficaces
d’alphabétisation et de création d’emploi. De même on pourrait prendre des
mesures pour freiner l’ingérence de la Communauté Internationale en finançant
nous-mêmes les opérations électorales, comme l’avait fait l’administration
Privert/Jean-Charles pour les élections de 2016. Car aussi vrai que les grandes
puissances nous ont fortement encouragés à adopter la démocratie universelle,
il reste certain qu’au lendemain du départ de Jean-Claude Duvalier le 7 février
1986, elle représentait la forme de gouvernement qui répondait le plus aux
aspirations démocratiques du peuple haïtien. Ainsi, tout accroc au vote
populaire peut représenter aux yeux du peuple un retour en arrière auquel il
s’opposerait par tous les moyens.
Des solutions pratiques pour développer une démocratie
moderne
Gineaud Louis propose
de remplacer la démocratie universelle couramment en vigueur en Haïti par une
autre forme de gouvernement : « Le modèle de la démocratie
universelle tel qu’appliqué en Haïti n’est pas bénéfique pour le développement
durable du pays. Il crée l’instabilité, la confusion et la division au sein de
la population. » Deux des caractéristiques de cette nouvelle forme de
gouvernement sont les suivantes :
Un pouvoir parlement proportionnel. Tous les parlementaires ne seront pas élus au suffrage direct ;
50% d’entre eux seront nominés par les élus des collectivités territoriales.
Avec ce nouveau système, les opérations électorales coûteront moins cher et les
élus seront plus compétents, car issus des cadres des partis politiques (page
167).
Un pouvoir exécutif présidentiel. La cohabitation du président élu au suffrage direct et
un premier ministre choisi par le président, et ratifié (et contrôlé) par le parlement
« fait du parlement le véritable centre de pouvoir ». Ce régime
dualiste « ouvre la voie à des pratiques de collusions entre les membres
du gouvernement et les parlementaires et aussi à la corruption endémique au
plus haut niveau de l’État. » (Page 171). Par conséquent, « [i]l faut
abolir la fonction de premier ministre et appliquer un régime politique ayant
pour exécutif un président et [un] vice-président. »
A travers Démocratie Universelle en Haïti, Élections
ou Sélections ? Gineaud Louis démystifie la démocratie universelle en
cours en Haïti. A sa place il prône un système de gouvernement plus conforme
aux traits culturels et historiques du peuple haïtien. Ce livre peut être d’une
grande utilité aux lecteurs qui n’ont pas été à l’écoute de la politique
haïtienne des trente dernières années, tant il fournit des détails sur les
faits politiques tant majeurs qu’anecdotiques corroborant son argumentation.
Cependant, l’auteur aurait dû accorder beaucoup plus de place aux reformes qu’il
suggère, afin non seulement de les décrire dans toutes leurs facettes, mais aussi
de démontrer clairement et de façon convaincante pourquoi et comment elles vont
faciliter la modernisation et le développement du pays.
Gineaud Louis, Démocratie Universelle en Haïti, Élections
ou Sélections ? Jebca Éditions, Boston, 2017, 184 pages.
Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com
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