Au seuil de l’obscurantisme


Paru dans Le Nouvelliste du 13 juillet 2018
https://lenouvelliste.com/article/190122/au-seuil-de-lobscurantisme


La foulée conquérante, un livre de huit chapitres, présenté dans un format simpliste frisant l’amateurisme, captive le lecteur dès le premier chapitre, grâce à la verve puissante du Dr Rony Gilot. Dans ce premier chapitre l’auteur parle du monument Trois Mains sur la route de l’Aéroport, par le biais d’un dialogue truffé de faits fantasmagoriques, entre deux personnages, Ynor et Nestor. Ce rond-point serait le réceptacle de cérémonies vaudouesques impliquant maints politiciens et futurs chefs d’état du pays. Ce serait le lieu où Dr François Duvalier eut à adresser « aux dieux tutélaires de la race et de la patrie » sa requête de devenir président de la république, une demande accordée par « la Femme au pied de bouc, la femme totale qui donne la victoire totale » en échange au sacrifice d’un membre de sa famille et d’un ami très proche.

Au deuxième chapitre, l’auteur amplifie le portrait d’Ynor Tolijean, « une anagramme qui n’a nul besoin de code de décryptage », un personnage récurrent dont l’ombre et les perspectives vont être omniprésentes à travers les chapitres restants. L’auteur relate avec candeur la transition d’un fils de la paysannerie d’une vocation ecclésiastique à celle médicale, tout en affrontant les aléas des préjugés de couleur et de classe sévissant avant le régime des Duvalier. Notons que ces effusions autobiographiques, de par les détails révélés sur le quotidien des années 50, infusent un baume de fraicheur et d’originalité au récit. Le parcours de l’auteur, par le biais des pérégrinations de son alter égo, attisera bien la curiosité du lecteur, et même davantage que les démêlées d’un Papa Doc dont les moindres traits de caractère et subterfuges ont fait déjà l’objet de nombreux ouvrages.

Du troisième au huitième et dernier chapitre, l’auteur consacre son attention sur les évènements qui vont aboutir à l’ascension de François Duvalier au timon de l’état, le 22 avril 1957. Plutôt que de relater de façon linéaire la marche du médecin-président vers la présidence, l’auteur se sert de débats contradictoires entre partisans des quatre candidats majeurs de la campagne électorale de 1956 – 1957 (Louis Déjoie, François Duvalier, Daniel Fignolé, et Clément Jumelle), pour exposer et analyser la personnalité des candidats et leurs stratégies politiques. Les évènements majeurs sont commentés par les duvaliéristes de Grand Gosier, et dans la pension Saint Jean, par des pensionnaires d’allégeance politique diverse.

Les pensionnaires comparent leurs arguties sur la suffisance de faiseur de roi du général Léon Cantave et plus tard du général Antonio Th. Kébreau, de la naïveté de Fignolé qui s’est laissé écarté de la course électorale par l’offre de la présidence provisoire, de la mise à couvert de Jumelle à cause d’un mandat d’amener qui oscille sur sa tête telle une épée de Damoclès, de l’opportunité ratée de Déjoie d’accaparer le pouvoir au lendemain du départ en exil du général Paul Eugène Magloire, mais surtout de l’astuce de François Duvalier qui a su gagner la faveur populaire par sa proximité aux masses paysannes lors de la campagne d’éradication du pian, et apaiser le Grand Quartier Général et la bourgeoisie mulâtre en projetant l’image inoffensive d’un candidate mieux enclin que les autres à se complaire dans la posture d’un président de doublure. L’intelligence politique du candidat effacé va l’assurer du support du général Kébreau, du « rouleau compresseur » de Fignolé, et des partisans de Jumelle. Entre lui et le pouvoir il ne restera que Louis Déjoie, devenu au fil de la campagne un candidat affaibli et distant des masses.

L’emploi de dialogues et de débats contradictoires, pour exposer les arguments et stratégies, rend le récit beaucoup plus vivant qu’une simple exposition de faits historiques. L’emploi de la troisième personne pour étayer la dimension autobiographique du roman est assez étonnant, vu que la première personne siérait mieux à l’épanchement introspectif. Somme toute, Dr Gilot a fait ses choix, et jusqu’à présent, c’est un pari gagné, au moins dans ce premier tome.

Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com

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