Poésie à bon marché

Par Mario Malivert


Au sortir d’un restaurant près de Gelée, la plage très connue de la ville des Cayes, je fus accosté par un jeune homme à l’air timide, pouvant à peine projeter sa voix. Je m’attendais à une requête du genre, « Est-ce que vous pouvez m’aider à acheter de quoi manger », mais grande fut ma surprise quand il me tendit un livre, disons mieux une brochure, et marmotta : « J’aimerais vous présenter mon livre. » Je feuilletai la brochure—un recueil de poèmes, et parcourut des yeux quelques des poèmes. « C’est à cinquante gourdes seulement,» il ajouta, comme s’il me vendait des mangues. Devant mon air hésitant, il enchaina, « Si vous voulez, je peux déclamer un poème pour vous. » Les choses prirent une allure de plus en plus intéressante. « Oh yeah, exclamai-je, vas-y. » Et il commença par réciter un poème, mais avec de grands gestes. Après quelques vers, je lui fis signe d’arrêter. Je lui tendis 100 gourdes, non seulement pour acheter le livre mais pour lui démontrer que son livre vaut plus que 50 gourdes. Je lui conseillai de se trouver un éditeur pour que ces prochains livres soient publiés et distribués en bonne et due forme.

Arrivé chez moi, tard dans la nuit, après avoir enduré l’embouteillage de Carrefour, je lis quelques poèmes du recueil de douze pages, contenant 15 poèmes, en créole et en français. Pour un livre marchandé sur une plage, son jeune auteur ne manque pas de potentiel, en témoignent les extraits suivants :

« Depuis des temps reculés l’amour demeure un sujet tabou

Ce qui incite les intéressés d’aller jusqu’au bout

En quête d’un être extra ou d’un vrai amour

Dont tout au long du parcours ils persuadent toujours »

(L’amour, page 5)

Et:

« Do mòn yo ki fin devaste

Sous dlo yo ki fin seche

Bon jan manje peyi ki neglije

Pou tout vye pwodwi enpòte »

(Ansanm n ap rebwaze ayiti, page 13)

Ce jeune poète suit la mouvance du pays. Un pays où les repères et les boussoles sont désarticulés. Un pays où la poésie descend de son piédestal. Un pays où les jeunes artistes se voient contraints de vendre leurs œuvres comme des articles d’artisanat qu’on expose et qu’on vend aux coins des rues. Où sont les cercles littéraires ? Où sont les éditions indépendantes ? Où sont les ainés, ceux qui ont le devoir d’encadrer les jeunes, assurant ainsi la relève ?

1 commentaire:

  1. dans l'intelligentsia de chez nous
    les papes
    les demi-dieux
    et les tout-puissants
    n'ont besoin que des fidèles
    pour acclamer
    à vie leur séculaire mégalomanie

    bobbypaul 2015

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