Au
sortir d’un restaurant près de Gelée, la plage très connue de la ville des
Cayes, je fus accosté par un jeune homme à l’air timide, pouvant à peine
projeter sa voix. Je m’attendais à une requête du genre, « Est-ce que vous
pouvez m’aider à acheter de quoi manger », mais grande fut ma surprise
quand il me tendit un livre, disons mieux une brochure, et marmotta :
« J’aimerais vous présenter mon livre. » Je feuilletai la brochure—un
recueil de poèmes, et parcourut des yeux quelques des poèmes. « C’est à
cinquante gourdes seulement,» il ajouta, comme s’il me vendait des mangues.
Devant mon air hésitant, il enchaina, « Si vous voulez, je peux déclamer
un poème pour vous. » Les choses prirent une allure de plus en plus intéressante.
« Oh yeah, exclamai-je, vas-y. » Et il commença par réciter un poème,
mais avec de grands gestes. Après quelques vers, je lui fis signe d’arrêter. Je
lui tendis 100 gourdes, non seulement pour acheter le livre mais pour lui démontrer
que son livre vaut plus que 50 gourdes. Je lui conseillai de se trouver un éditeur
pour que ces prochains livres soient publiés et distribués en bonne et due
forme.
Arrivé
chez moi, tard dans la nuit, après avoir enduré l’embouteillage de Carrefour, je
lis quelques poèmes du recueil de douze pages, contenant 15 poèmes, en créole
et en français. Pour un livre marchandé sur une plage, son jeune auteur ne
manque pas de potentiel, en témoignent les extraits suivants :
« Depuis des temps reculés l’amour demeure un sujet
tabou
Ce qui incite les intéressés d’aller jusqu’au bout
En quête d’un être extra ou d’un vrai amour
Dont tout au long du parcours ils persuadent
toujours »
(L’amour, page 5)
Et:
« Do mòn yo ki fin devaste
Sous dlo yo ki fin seche
Bon jan manje peyi ki neglije
Pou tout vye pwodwi enpòte »
(Ansanm n ap rebwaze ayiti, page 13)
Ce
jeune poète suit la mouvance du pays. Un pays où les repères et les boussoles
sont désarticulés. Un pays où la poésie descend de son piédestal. Un pays où
les jeunes artistes se voient contraints de vendre leurs œuvres comme des
articles d’artisanat qu’on expose et qu’on vend aux coins des rues. Où sont les
cercles littéraires ? Où sont les éditions indépendantes ? Où sont
les ainés, ceux qui ont le devoir d’encadrer les jeunes, assurant ainsi la relève ?
dans l'intelligentsia de chez nous
RépondreSupprimerles papes
les demi-dieux
et les tout-puissants
n'ont besoin que des fidèles
pour acclamer
à vie leur séculaire mégalomanie
bobbypaul 2015