Des Idées pour la Refondation d’Haïti

Article paru dans Le Nouvelliste du 11 janvier 2013
http://lenouvelliste.com/article4.php?newsid=112360

Par Mario Malivert

Depuis le séisme du 12 janvier 2010, un élan d’altruisme a engendré bon nombre de colloques nationaux et internationaux, où des experts, chercheurs, penseurs, et autres ont penché sur l’état de faillite d’Haïti et proposé des idées pour sa refondation. Frantz Jean Baptiste, juriste et expert en relations internationales, a lui aussi des idées, lesquelles il a pris soin de partager avec nous dans son roman d’essai, « Haïti j’Accuse ! », paru en décembre 2011.

Au centre du livre, un journaliste, Eustache Lindenberg, canadien d’origine, et haïtien de cœur, poursuit une enquête audacieuse et dangereuse : « Il s’agit de porter les affaires complexes haïtiennes devant la conscience universelle et susciter par la même occasion l’indignation , jusqu'à ce que les zones d’ombre qui entourent les problématiques de ce pays se dissipent une fois pour toutes. » (Page 70). D’où le titre, Haïti j’Accuse !, une mise à l’index des éléments fondamentaux de la première république noire, en vue de comprendre les causes de sa faillite, ce qui aiderait à en trouver des éléments de sauvetage. Pour répondre aux multiples questions qui le harcèlent, le journaliste s’arrange à questionner des Haïtiens appartenant à différentes couches sociales, tant en Haïti qu’à l’étranger. Le narrateur, qui s’identifie sous le nom de Sonson, partage avec nous les aléas de cette enquête, dite inachevée comme l’indique le sous-titre du livre, en volant d’une poubelle les notes gribouillées d’Eustache Lindenberg.
Eustache Lindenberg fait montre d’une connaissance innée d’Haïti, et d’une obsession à mener son combat périlleux « pour la libération d’Haïti ». Bien qu’il soit amoureux fou d’Haïti et de sa femme, une haïtienne, et sincère dans son entreprise en faveur du pays, il est quand même un étranger, une image trop conforme au concept du sauveur Blanc. Pourquoi le narrateur choisit-il de se cacher derrière ce protagoniste ? Est-ce une évidence additionnelle de l’incapacité des Haïtiens à cerner les besoins du pays ou, simplement, une astuce fictionnelle pour capter notre attention, surtout que cet Eustache a un passé d’espion, et risque de devenir un agent double et un martyr pour la cause d’Haïti ?
Avec un tel titre on s’attend à une mise à l’index de tout ce qui a contribué à faire d’Haïti ce qu’il est et représente aujourd’hui, du temps colonial, en passant par la guerre de l’indépendance et la réaction raciste des puissances d’alors, l’occupation américaine de 1915 à 1934, la dictature des Duvalier père et fils, jusqu’à la bamboche démocratique et anarchique des 25 dernières années. Sont aussi abordées les réalités conjoncturelles actuelles, telle la présence des troupes onusiennes, la pléthore des Organisations Non-Gouvernementales (ONG), les points faibles de la Constitution de 1987, les retombées du séisme du 12 janvier 2010, et les considérations spirituelles autour du Christianisme et du Vaudou. Ces points sont adressés et débattus par Eustache Lindenberg et ses interlocuteurs, au cours de son périple à travers Haïti et la Diaspora.
Mise en accusation à outrance, dirait-on, et par endroits étourdissante, surtout dans les chapitres précédant les rencontres d’Eustache avec ses interlocuteurs, presque tous des amis de longue date ou des connaissances de travail, qu’il cherche à recruter pour sa cause. Dans ces chapitres le narrateur étale les tréfonds de la pensée d’Eustache et donne par moments l’impression qu’il a fait siens les points de vue de son protagoniste.
Mise en accusation d’Haïti, certes, la démarche l’exige. Néanmoins, Frantz Jean Baptiste a eu la clairvoyance de ne pas se laisser entrainer dans le bourbier des accusations stériles—si fréquentes de nos jours et professées par plus d’un, toutes tendances politiques confondues—mais se concentre aussi à proposer des idées et solutions pour l’avancement d’Haïti. A travers les interventions d’Eustache et de ses interlocuteurs, et à travers les monologues tirés des notes d’Eustache, des idées assez intéressantes ont surgi et méritent bien d’être soulignées.
De la présence des troupes onusiennes sur le sol national : De 1993 à nos jours les missions se suivent sans rien apporter de concret et de positif au pays. L’auteur fustige la croyance par certains que le développement d’Haïti passe par la Communauté Internationale. Selon lui, « L’ONU est pour beaucoup dans la faillite de l’Etat haïtien » (page 55). Avec sa « structure virtuelle » dépourvue de « statut juridique », cette organisation ne saurait engendrer la dynamique nécessaire pour enclencher le développement d’Haïti.
Jean Baptiste a aussi décrié les Organisations Non Gouvernementales (ONG), comme des instruments financés et contrôlés par les pays développés pour maintenir les pays en voie de développement dans une situation de dépendance permanente, avis d’ailleurs partagé par beaucoup d’autres chercheurs. « Le but de ces ONG multipliées à profusion ici et là n’a qu’un objectif : maintenir le tiers-monde dans son état de pauvreté délirant et dans un attentisme au goût de miel, mais infect pour l’état d’esprit des populations. » (Page 244).
Pour réduire l’influence néfaste de la Communauté Internationale sur Haïti, l’auteur avance l’idée d’une Organisation Mondiale de la Diaspora Haïtienne, composée de tous les Haïtiens du monde, et dont le but serait « la consolidation de la Nation haïtienne dans sa globalité. » (Page 110). Les Haïtiens doivent cesser de se laisser berner par les grands discours et les promesses des instances internationales, et doivent travailler eux-mêmes au développement de leur pays.
Dans la même veine, une autre idée intéressante discutée dans le livre est la création d’une Banque Nationale pour la Reconstruction d’Haïti (BNRH), dont les fonds proviendraient de l’investissement annuel de $1000, pendant quatre ans, par chacun des quatre millions de nos compatriotes vivant dans la Diaspora. Avec la contribution d’un quart de ces haïtiens, l’Etat disposerait d’un fonds annuel d’un milliard de dollars et pourrait donc « investir dans la reconstruction nationale par ses propres moyens. » (Page 189). Haïti ne dépendrait plus de l’aide internationale pour sa refondation.
De la Constitution de 1987 : La structure bicamérale (deux chambres) du parlement—Articles 89, 93, 94, et 97—n’a pas contribué au rôle primordial du parlement qui est de légiférer. En date, le parlement haïtien de l’après-Duvalier n’a pas pu générer des lois conformes à la réalité du pays. « Dans un état unitaire comme Haïti, en phase d’apprentissage démocratique, le monocamérisme serait une meilleure réponse à l’évolution de cette société. » (Page 126). Ce parlement monocaméral serait composé de 150 membres, repartis sur les 10 départements géographiques du pays.
L’article 137, établissant un pouvoir exécutif à deux têtes (le Président, comme chef d’état, et le Premier Ministre, comme chef de gouvernement), est aussi discuté. Un régime présidentiel (avec donc la dissolution de la fonction de Premier Ministre) serait préférable et aurait plus de chance de garantir une stabilité démocratique. « En clair, avec un pouvoir exécutif à deux têtes qui s’exposent à ne pas avoir la même vision en termes de gouvernance politique, tôt ou tard, le pays se trouvera placé en situation d’instabilité au plus haut sommet de l’Etat. » (Page 138).
L’article 284-2, interdisant l’entrée en vigueur d’un amendement « sous le gouvernement de qui l’amendement a eu lieu. » est aussi mis à l’index. Cette clause constitue un déterrent pour l’équipe au pouvoir de poursuivre les changements constitutionnels nécessaires à l’avancement du pays. Selon Frantz Jean Baptiste, l’abrogation de cette clause, donc la possibilité par le gouvernement, au cours duquel a eu lieu l’amendement, de jouir des retombées positives du dit amendement, servirait de motivation à redresser les failles de la Constitution de 1987.
Frantz Jean Baptiste n’a pas oublié d’adresser le déficit civique du pays. Il reconnait que toute tentative de redressement du pays passe inévitablement par l’homme haïtien, en tant que citoyen et participant actif du vécu national. « C’est un peuple qui a complètement perdu ses repères ces dernières années, du fait de la gestion archaïque de la chose publique par les gouvernements successifs. » (Page 143). Devant un tel constat, pour revitaliser les vertus civiques des Haïtiens, et surtout les jeunes, l’auteur propose l’établissement du Service National Civique, prévu d’ailleurs dans l’article 52-3 de la Constitution, et celui du service militaire obligatoire pour tous les jeunes de moins de 18 ans. Ces deux entités impliquent le rétablissement de l’armée d’Haïti, qui participerait à la supervision du Service National Civique.
Ce sont là des idées concrètes, applicables, et réalisables, qui méritent l’attention de tous les Haïtiens, et surtout des membres de l’actuel gouvernement. Frantz Jean Baptiste situe ses idées dans une enveloppe fictionnelle, d’où le genre roman d’essai de l’ouvrage, qui rend la lecture plaisante et les idées, même les plus complexes, à la portée du commun des lecteurs.

Frantz Jean Baptiste, Haiti j’Accuse !, 316 pages, Ed. Educa vision, 2011

Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com

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