Par
Mario Malivert
Espérons
qu’ « A mes risques et paroles »
ne soit pas le dernier recueil de poèmes de Pierre Emmanuel, comme évoqué dans
la quatrième de couverture. Haïti, ainsi que le monde, perdrait trop tôt une
voix, un chantre, qui redonne goût au voyage. En fait, « A mes risques et paroles » est
dominé par la hantise de la mer. On peut imaginer le poète, calepin en main, se
promener sur la plage, ébahi devant le spectacle des voiliers et bateaux,
espérant discerner les soupirs de la mer. Cette mer « aux manières
douces » qui l’attire et l’interpelle :
J’aimerais être un marin
ne rien attendre de la terre ferme
mon sac de voyage sur le dos
je m’en irais de port en port
(Poèmes
d’écumes et de vagues, p. 61)
Le
poète n’ira pas seul en mer. L’être aimé est invité à le rejoindre :
« je tenterai de combler la mer/en attendant ton retour», pour que leurs
rêves aillent plus loin.
L’obsession
du voyage se retrouve aussi dans Héritier
du genre humain, un poème lugubre qui termine le recueil, et qui se lit
comme un adieu, et même un adieu collectif :
Au moment où l’ivraie de la mort nous
frappera
Je garderai la sincérité de nos poignées
de main
et de nos baisers fraternels
(Héritier
du genre humain, p. 76)
Le
poète parle plus tard de la «lente marche longue et lasse », un vers qui
nous rappelle la fameuse allitération « pour qui sont ces serpents qui
sifflent sur vos têtes » de Jean Racine.
Sur ce chemin étroit et long
des reflets d’âmes nous accompagnent
lente marche longue et lasse
dans les pas des étoiles
le rythme de nos souffles résonne
comme un tam-tam lointain
nous avons traversé des torrents de
larmes
pour écouter la voix du sang
(Héritier
du genre humain, p. 79)
Dans
cette dernière strophe du recueil, le voyage collectif vers l’au-delà prend des
accents morbides qui nous renvoient au poème, Le jour où la terre a tremblé sous nos pas…, qui ouvre le livre.
Ce
poème-témoignage, dédié au séisme du 12 janvier 2010, est un hymne à
Port-au-Prince. Une Port-au-Prince « en lambeaux », au « cœur
meurtri », « …crucifiée/noyée de baves et de sang », mais qui
sourit malgré tout : « ton sourire masque mal ta souffrance. »
Ici, en dépit du ton élégiaque du poème, Pierre Emmanuel veut surtout redonner
espoir aux habitants de Port-au-Prince :
Dans Port-au-Prince en lambeaux
un chant envahit les rues
déchirant le silence de la ville
comme une immense rumeur
veuves, mères, amantes, orphelines
cohorte de survivantes
reprennent en chœur l’hymne à la vie
(Le
jour où la terre a tremblé sous nos pas…, p. 17)
Pierre
Emmanuel est le poète des grands voyages, au-delà des mers, au-delà du temps.
Sa poésie se fait de sons et de lumière, en dépit de la morosité des thèmes. Il
lie son souffle aux éléments naturels, tels la mer, la lune, le soleil, les étoiles,
et la terre. Ses vers laissent le champ libre au vide des pages, comme pour ne
pas tout dire ou pour ne pas trop dire. Mais nous aimerions bien lire Pierre
Emmanuel, encore une fois, pour voyager avec lui et « tenter de renaitre
sur des rives incertaines.»
Pierre
Emmanuel, A mes risques et paroles,
Ed. Paroles, décembre 2012, Montréal.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire