Pierre Moise Célestin, Poète en Temps de Détresse


Par Mario Malivert


Il revient au poète d’exprimer les émotions les plus fortes, d’interpréter le caquet des oracles, ou de déchiffrer les hiéroglyphes des mausolées. Certains prennent des années à creuser des brèches, interroger des gestes, et longer des tunnels aux détours imprévisibles pour saisir le langage des yeux éteints et le pourquoi des cataclysmes. D’autres s’accrochent aux passerelles monotones du présent pour éviter les coins lugubres du passé. Laisser dormir les morts, dirait-on. Tout comme Dany Laferrière avec « Tout bouge autour de moi » (2010, Ed. Mémoire d’encrier), qui a à peine laissé les cendres se refroidir sur Port-au-Prince, Pierre Moise Célestin ne se fait pas prier: il a répondu à sa vocation de chantre à travers son récent recueil de poèmes, « Le Cœur sous les décombres » suivi de « Ce pays à genoux dans ma voix » (2010, Ed. Bas de Page). Il s’est fait “Poète des décombres” qui reprend “la marche du silence/Pour honorer la mémoire/Des victimes.”


Le séisme du 12 janvier qui a dévasté son «point de terre» devient anonyme: «ce mardi 12 n’a pas de nom». La poésie de Pierre Moise Célestin, une fluide suite d’images, de métaphores, et de tournures de langage, s’oublie par moments pour devenir urgente, crue, sans prétexte ni maquillage, remplie de «l'ombre boiteuse des corps fragmentés/Oubliés sous les décombres.» Alors le poète peut à peine retenir ses cris et colorer ses plaintes. Ses vers subtils, qui veulent peindre sa «ville d’azur et de soleil» et réinventer « son ile de jersey », ce pays dans son « cœur encombrant/D’archipels et d’équinoxe», laissent égrener le son rauque de ses sanglots :
Port-au-Prince en cendres
Me plonge dans cette rumeur assassine
La mort à nos trousses
Guette nos pas
Et l'innocence de nos rêves.

Tout compte fait, devant le tremblement de terre du 12 janvier qui s’est imposé en tyran, le poète n’a qu’un seul recours : le constat banal du fait accompli--« Mon pays s'englue dans le désastre.”

J’ai lu quelque part que les intellectuels haïtiens contemporains, contrairement à leurs illustres prédécesseurs, tels Jacques Stephen Alexis et Jacques Roumain, ont laissé de coté leur engagement social pour s’admirer le nombril, comme si la cinglante réalité du pays, au lieu de les galvaniser, les a plutôt basculés dans des méandres pleurnichards et narcissiques. Aussi vrai que cela pourrait être, c’est maintenant relégué au passé. Pierre Célestin Moise a prêté sa plume aux sans-abri éparpillés sur les places publiques et les terrains vagues de Port-au-Prince, pour chanter premièrement sa douleur, et puis celle de son peuple:
Et tel vent de manège l'écho de la douleur
Résonne en moi
Depuis j'ai un fantôme dans la chambre.

“Enterre les noms efface les adresses », il s’écrie, comme pour narguer le séisme et ses répliques, comme pour démystifier la puissance dévastatrice de la terre en mal d’équilibre, comme pour offrir un semblant d’explication à son peuple qui attend. Et comme le soleil est omniprésent dans ce pays d’épiderme boucané, le poète de murmurer « Ici/La terre s'alanguit de ses répliques/De son trop-plein de sel et de soleil », faisant ainsi de l’astre lumineux et du sel les boucs émissaires du tumulte qui a secoué la terre et fissuré les murs et les cœurs.

Sans tergiverser, Pierre Célestin Moise a répondu à l’appel. Les dix-sept poèmes étalés dans « Le cœur sous les décombres » et le long poème, « Ce pays à genoux dans ma voix », sont là, sur la page blanche, prêts à consoler les cœurs affligés. Avant même qu’il y ait un séisme, pendant qu’il ne se souciait que des peccadilles de ses jours dans les rues de Port-au-Prince, aux alentours de la Bibliothèque Nationale, il cherchait quelque chose, le poème de sa vie:
Je cherche à flanc de fuite
Le poème de ma vie
Dans la tourmente de ce pays
De ce peuple
Ignoré de sa beauté
De ses richesses de ses merveilles!
(Ce pays a genoux dans ma voix, page 54)

Il l’a bien trouvé, le poème de sa vie, enfoui sous les décombres et teinté de sang.

Le cœur sous les décombres suivi de Ce pays à genoux dans ma voix,
Pierre Moise Célestin, Éditions bas de Page, 54 pages, août 2010.

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