Par
Mario Malivert
Tribòbabò, le premier recueil
de poèmes en haïtien d’Iléus Papillon, est un hymne au rêve. Qui d’autre rêve
plus et mieux que le poète. N’habite-il pas un univers d’éther, entouré de
muses et de nymphes, souffrant, chantant pour tout un peuple? Papillon se réveille
avec ses rêves, « Nou lave je-n ak rèv », les pond à tort et à
travers, « Nan ponn rèv lanvè landrèt », peine à les circonscrire,
« rèv nou pi lou pase tèt nou » ; et propose de les échanger avec
nous, « Moun boukante rèv ». Mais que rêve-t-il enfin ? Des
rêves de bossu :
Tout rèv mi soupye
Tout rèv granmoun depi nan vant
Rèv mouri nan tèt
Pagen rèv ki pa fonn anba dra
(Rèv bosi, Page 25)
Des rêves de justice, de démocratie,
« pou detache baboukèt nan tout kwen ». Des rêves d’une Haïti moderne,
qui brille de ses mille feux.
Le premier poème, Kote’n
prale, donne le ton à ce recueil qui se veut pétitionnaire, dénonciateur.
Kote-n prale si chèf bay sirèn nan koridò
Fatra grandi nan do biwo
Vitpafime
Linèt nan je
(Kote-n prale ? Page 20)
Les thèmes abordés sont d’actualité,
les tares invectivées relèvent du vécu quotidien. Ici, le poète ne nie point
son rôle de témoin de son temps. La voix de Papillon, certes d’une verve
élégiaque, se peint d’humour et de sarcasme. Les mots et les syllabes
s’entrechoquent en néologismes percutants, rendant le dire frais et
imprévisible : « Dra lanmò kouvri lavi latètopye » ou « Son
makonn mazanza tètkokolo ».
Papillon ne fait pas que
s’épancher sur le sort de son pays, il chante aussi des villes et des lieux qui
ont marqué sa vie et ses poèmes. Port-Margot, Limbé, Jacmel, et Cap-Haitien lui
servent d’exutoire, d’oasis où il peut se laisser aller :
M’ap rele-w Vil Okap
Vil Okap se vil ki fè kè chanje plas
(Youn jou, Page 36)
Mais, Port-au-Prince, elle,
c’est la ville froide, hautaine : « Pa gen lanmou vre nan Pòtoprens »,
où d’un morbidisme à fleur de peau: « Lavi nan Pòtoprens se fotokopi
lanmò » et où règne un climat malsain d’insécurité : « Lavi nan Pòtoprens
se bistouri nan gòj lekzistans».
Papillon étale aussi son amour,
pour des filles et des femmes qu’il a rencontrées dans la vie ou dans ses rêves,
dans une verve plutôt érotique qui évoque souvent l’influence de Georges
Castera.
M’anvi-w twonpe-m ankò
M’anvi-w twonpe-m jouk nan zo cheri
(Twonpe, Page 51)
Avec Tribòbabò, Iléus
Papillon se joint au groupe de poètes haïtiens qui se tournent de plus en plus
vers la langue haïtienne. Et surtout, quand la poésie devient spectacle, une expérience
commune où les mots percutent les sens, la langue haïtienne trame les cœurs dans
un élan uniforme, dans un amalgame de sentiments, avec une corde d’argent qui
nous unit tous en tant que citoyens d’une même nation. D'où son attrait et la
place prépondérante qu'elle se taille dans la poésie haïtienne contemporaine.
Tribòbabò, 91 pages, Edisyon Près
Nasyonal d’Ayiti, Mas 2012.
Ewa!
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