« Le chant des nébuleuses » de Denise Bernhardt

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Une jeune poétesse qui chante l’amour accouche souvent une poésie mièvre, à l’eau de rose, oubliée aussitôt qu’on ferme le livre. Mais quand une poétesse de carrière, de la trempe de Denise Bernhardt, chante l’amour, on en vient à percevoir les lieux communs de la sensualité, de la tendresse, et même de la passion sous d’autres prismes, d’autres registres. On en vient à rêver encore d’amour, à sentir le tumulte du cœur à l’approche de l’amant, à se trémousser d’aise, de plaisir. Il est possible encore d’aimer passionnément. Il est possible encore de se laisser aller, de se laisser happer par les effluves des sens, de se laisser bercer et berner…de n’être plus sur ses gardes, de se laisser gagner par la luxure.

Le chant des nébuleuses, publié en 2016 par les Editions Jebca dans sa collection L’Immortel, est le douzième recueil de poèmes de Denise Bernhardt. Le livre contient cinq chapitres.

Le rituel

Le rituel, le premier chapitre du livre est un long poème d’amour où, dans un style simple, limpide, fluide même, la poétesse laisse parler son cœur. Dans les premiers textes, le ton est doux, sensuel, les joies de découvrir l’autre, d’explorer les monts et vallées, sillons et couloirs de son corps, manifestes, comme aux premiers jours des idylles, quand tout est rose, tout est suave : « Quand tu dors avec son corps blotti /Dans le berceau de son amour ». La sensualité est proche, pendue à la lisière des vers, et l’être aimé, un adonis qui vient des tropiques : « Alors je glisserai mes doigts / Sous ta chemise ouverte / Où bruissent les palmes / Et les oiseaux de ton pays ».

La poétesse enivrée de passion se donne à cœur joie dans les ébats érotiques, montrant ainsi qu’elle n’est pas la nébuleuse du titre, son amant si : « Je viens telle une vague / Effleurer tes grèves / Enroule-moi d’écume / De grâce juvénile / Donne-moi le sel et le feu / De tes baisers ». Sûre de son emprise sur lui, elle se paie un brin d’outrecuidance : « Elle t’attend / Sachant que la vague / N’oublie jamais son rivage. » Mais très vite elle va se sentir délaissée pour une autre femme, plus jeune peut-être : « Ce soir elle est ta petite / Et je n’existe plus. » Mais finalement, tout revient comme avant, l’amour triomphe : « Mais toujours en moi / Tu jettes l’ancre, tu arrimes ton histoire / Dans le jaillissement de la vie, / Qui unit le sang blanc au sang noir. » Pas si vite, il va quand même la quitter, pour retourner dans « sa ville-poussière » : « Tap tap, ta voix qui se perd […] Discordances. / L’espace se distend / Dans cette vie que tu traînes / Et qui t’entraîne à contre amour […] Et tu n’as jamais retrouvé / Ce goût de France sous ta langue. »

Ma nacelle de rêves

Dans ce chapitre la sensualité est encore au rendez-vous: « Je n’ai pas dit tes reins serpentaires / Qui pénètrent, fauves, / L’antre de l’ultime douceur. » autant que la jalousie : « Je te pardonne les nuits / Vos corps tracés de pierre noire / Rivés l’un à l’autre ». Et tout comme dans le chapitre précédent, le texte conclut avec ces vers lugubres : « Je m’en vais irrésistiblement / Sans avoir connu tes caresses / Ni la passion de tes baisers ». L’amour finit par mourir, ce qui nous rappelle ces vers d’Oswald Durand, « amour d’un jour ou d’une année. C’est toujours de l’amour défunt. »

Les heures bleues

Dans ce chapitre la poétesse se lamente sur les heures sombres d’un amour en perte de vitesse, dont le présent est miné : « Les grèves où tout s’efface / Ont bu / Les traces de nos pas / Il ne reste même pas / Les roucoulements / Des tourterelles en amour. », qui se conjugue au passé : « Chaque soir tu me donnais des mots / Qui te conduisaient nu / Jusqu’à moi. » et au futur : « Je prendrai des morceaux de ton cœur / entrelaçant des fleurs d’améthystes / A des tiges d’opale. » Les vers regorgent d’interdits, masquant la jalousie ou l’insécurité face à une rivale plus jeune : « Il a suffi du sourire enfantin / De ses dix-huit ans, / De son corps qui tremblait […] Pour que tu deviennes fou / D’orages lactescents / De baisers de pluie / D’étreintes qui ne veulent pas mourir ».

Psyché

Dans le quatrième chapitre, la sensualité est à son paroxysme. Le langage se défait des euphémismes pour jaillir de façon crue, cinglante : « Mes mains te dépouillèrent de ton écorce, / Libérant la racine turgescente / De sève germinale. » ou « Sur la crête de l’aube / Elle voulait / S’étendre contre lui / Pour faire naître les ruisseaux / Frissonnants, / Défaire ses entraves / Pour caresser la hampe douce / Où s’érige l’orchidée de la vie. » ou encore « Chaque grain de la peau / Une saveur première, / Tandis que renaît doucement / Ton sexe dionysiaque, / Qui libère en mon corps / L’or des nébuleuses. »

La terre est un seul pays

Dans les premiers poèmes du cinquième et dernier chapitre, la poétesse laisse de côté l’amour, temporairement, pour chanter la souffrance des immigrés « Liés par d’invisibles chaînes / Prisonniers sans murailles, » des refugiés humiliés dans « notre République » où « On traite mieux les chiens / Qu’un homme qui a fui / La guerre et l’étau de la peur. », des enfants avortés, « ceux qui n’eurent pas le droit de vivre. »

Dans « Le chant des nébuleuses », Denise Bernhardt nous entraîne dans les slaloms de la volupté avec une langue ponctuée d’écumes et d’embruns. Les corps s’enlacent dans les nuits bleues et fauves. Les mains se perdent dans les cheveux, comme les vagues sur les grèves. « L’or des nébuleuses » semble laisser la page blanche pour s’incruster au tréfonds de l’âme du lecteur dans une tentative osée d’envoûtement. Pari réussi. Un vrai régal pour les yeux et les sens. One ne peut lire ces poèmes qu’avec avidité.

Mario Malivert (mariomalivert@yahoo.com)


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