Joël Des Rosiers, en toute intimité



Paru dans le Nouvelliste du 16 avril 2018
https://lenouvelliste.com/article/185953/joel-des-rosiers-en-toute-intimite


Dans son livre « Métaspora, essai sur les patries intimes » Joël Des Rosiers examine une multitude d’œuvres littéraires, plasticiennes, musicales, et cinématographiques pour y déceler des motifs et métaphores d’expression de la mouvance des identités au gré des lieux et espaces d’ancrage. Il retrace aussi les couloirs et les détours de ses origines familiales et de son parcours de médecin (psychiatre et chirurgien) et d’écrivain (poète et essayiste), donc « des déplacements intérieurs, plus secrets, dont son écriture porte la chronique » (Yves Chemla, Littérature haïtienne, 1980-2015, Page 86).

Diaspora et métaspora
Avec le suffixe « spora », Métaspora évoque un corollaire diasporique, au moins un point de départ. Certes, mais Des Rosiers va au-delà de la diaspora : « La diaspora fut un émoi, une résonance profonde, une nostalgie qui implique des départs sans retours. » (Page 29), pour engendrer un terme nouveau, métaspora, qui exprime mieux la floraison, l’ensemencement dont sont porteurs les individus et groupes dans l’expression de leurs idiosyncrasies. Il se démarque du concept statufié de la diaspora, pour embrasser une consécration de la pluralité identitaire. Métaspora semble exprimer un choix délibéré de vivre ailleurs, de faire siens ses nouveaux lieux et espaces, et de célébrer ses individualités. Citons encore Yves Chemla, « Tant les brassages sont intenses, tant les hommes circulent, mais aussi les représentations, le monde de l’image, que se contenter de cette seule référence au lieu de naissance parait désormais illusoire. »

Si Diaspora implique de la nostalgie : « Le retour, en Grec, se dit nostos. Algos signifie souffrance. La nostalgie est donc la souffrance causée par le désir inassouvi du retour...la nostalgie apparait [aussi] comme la souffrance de l’ignorance...Mon pays est loin, et je ne sais pas ce qui s’y passe. » (Page 48, citation de Jean-Christophe Bailly), métaspora épouse plutôt la célébration du présent et participe dans la formation de l’avenir: « Si le concept de diaspora, idéaliste et romantique, s’étaye d’un retour des souvenirs, réels ou fantasmatiques, du fait de se ressouvenir d’une origine perdue, celui de métaspora cherche à rendre le devenir présent. » (Page 35). On ne parle plus d’assimilation mais de foisonnement et d’échange : « Les communautés de culture construisent les espaces métasporiques en vivant, en voyageant, en revenant, en cuisinant, en communiquant une surdétermination à ces vecteurs [vecteurs spatiaux de l’identité] et à ces lieux. » (Page 47).

Égarement et errance
Métaspora met en exergue le concept d’égarement et d’errance. Des Rosiers cite Martin Heidegger « L’homme erre. L’homme ne tombe pas dans l’errance à un moment donné. Il ne se meut que dans l’errance parce qu’il in-siste en ek-sistant et ainsi se trouve toujours déjà dans l’errance. ». La globalisation y joue un rôle de facilitateur, de même que les « flux migratoires et la superposition des histoires [qui] ont largement contribué à déstabiliser les identités, [et] engendré une pluralité et une diversité de mémoires, de perceptions et d’imaginaires collectifs... » (Page 45). Avec la disponibilité de l’information à travers l’internet, l’égaré peut dire : « Mon pays est loin et je sais tout ce qui s’y passe» (Page 49), d’où une « perversion digitale de la nostalgie », mais connait quand même la souffrance de l’ignorance, sous « une forme érotisée [qui] va au-delà de la nostalgie », car « exacerbée par la fausse religion du réseau mondial. »

Des Rosiers décortique des textes de Kafka, de Rimbaud, de St John Perse, et d’autres écrivains pour présenter les traits de l’égarement et de l’errance ; l’un d’eux étant une sorte de rébellion, de marginalisation: « Ils sont innommés, innommables, exotes venus de pays lointains, rarement incultes, quelque fois érudits, les égarés. Leur seule façon de se rappeler à la société civile où ils vivent, c’est d’errer ; c’est-à-dire de déclarer la guerre civile symbolique, parfois meurtrière, au sein du langage. » (Page 36) Cette violence dans le langage peut même se manifester « sous forme de jets de bombe ou de jets d’encre. »

Médecine et littérature
Il existe un lien organique entre médecine et littérature, car ces deux disciplines adressent la souffrance, l’une en cherche des moyens pratiques de soulagement, l’autre devrait en donner un « caractère affirmatif », une interprétation épistémologique. Des Rosiers parle de « métaphore de la douleur » dans un texte sur Maryse Condé, où il évoque la mort du grand frère de l’écrivaine : « La physiopathologie de la maladie de Huntington [une maladie génétique neurodégénérative] touche l’alphabet de l’ADN et provoque des répétitions morbides de codons. En ce sens, sa structure génétique en expansion peut être considérée comme la métaphore littéraire de la douleur. » (Page 127). Cette connexion de la médecine et de la littérature peut se renforcer dans les années à venir avec le développement de processus d’interprétation et de correction des aberrations du code génétique pour diagnostiquer, prévenir, et même traiter des syndromes ou maladies. Ces processus corrigeront les mutations géniques, tout comme un éditeur corrige un manuscrit.

Dans ses réponses aux « Questions pour Île en île », Des Rosiers affirme que la nostalgie et l’exil ne sont pas ses thèmes favoris mais plutôt l’absence : « La maladie, c’est-à-dire la mort, le courage des êtres  humains face à la maladie, leur résilience, leur abandon quelque fois, et la fragilité de toute vie, et la force de la parole pour ramener quelqu’un à la vie, telles ont été les grandes mutations qui ont subordonné mes actions à une loi supérieure.» (Page 199)

« Métaspora, essai sur les patries intimes », un livre luxuriant qui exige des lectures multiples pour y découvrir à chaque fois des pépites nouvelles, « les contours de nouveaux domaines d’études. » On y retrouve aussi cette rigueur constante de l’écriture, si manifeste dans la poésie de Joël Des Rosiers, d’imposer le mot juste, accouchant un style ciselé, discipliné, inspiré du jeu de bistouri du chirurgien ou des questions concises du psychiatre.

Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire