Par Mario Malivert
Paru dans Le Nouvelliste du 10/8/2017
On parle souvent dans
notre cher petit pays de devoir de mémoire, pour rappeler à la société telles exactions
perpétrées dans le passé, et dont les auteurs, grâce au silence des historiens
ou gardiens de la mémoire collective, risquent de continuer à parader sur la scène
politique, comme s’ils ont toujours été des anges. Là, c’est le côté négatif du
devoir de mémoire. Son côté positif est aussi impératif, pour consigner dans un
médium pérenne la vie de leaders qui, de par leur conviction, leur parcours, et
leurs œuvres, ont marqué leur temps de façon positive et indélébile.
Mémoire parlante des leaders évangéliques haïtiens (JEBCA Éditions, 2016, 259 pages) s’inscrit dans cette
démarche positive: Présenter au public des leaders évangéliques qui ont su
mener une vie conforme à leurs convictions chrétiennes, pouvant servir de modèle
aux générations à venir. Conçue dans le cadre de la commémoration du
bicentenaire (1816 – 2016) du protestantisme en Haïti, cette publication « se
veut une référence du présent comme du futur, pour faciliter la compréhension
poussée de nos leaders par le commun des mortels. » (Page 10).
Manque de points de
repère, surtout pour une jeunesse en dérive, dont les valeurs morales
s’effritent dans la cohue des tendances du temps, un constat par Frantz Jean
Baptiste, mais aussi un effort d’y remédier. L’auteur se montre ainsi à la
hauteur de ses responsabilités non seulement chrétiennes mais aussi sociales et
citoyennes. « En clair, il s’agit de faire en sorte que l’éthique de la
conviction que nous incarnons et celle de la responsabilité en tant qu’humain
(Max Weber) puissent se combiner et impacter la société... » (Page 6).
Frantz Jean Baptiste se
donne le projet de publier un volume similaire chaque deux ans, question de
révéler à ses lecteurs ces leaders évangéliques qui militent parmi nous mais
dont le parcours risque de passer inaperçu.
Dix-sept leaders évangéliques
Dans ce premier volume,
l’auteur nous présente dix-sept leaders évangéliques, dont 12 pasteurs et cinq
artistes. Chacun d’eux bénéficie d’un ou plusieurs témoignages (regards
bienveillants), d’une présentation par Frantz Jean Baptiste, et d’un entretien,
le tout accompagné de photos du leader, seul ou en groupe. Ce format permet au
lecteur l’appréhension du leader sur divers angles. Les témoignages et la
présentation reflètent son impact positif sur son entourage. Et l’entretien lui
permet de livrer ses impressions sur des questions personnelles, sur la place
de l’église protestante dans la société, et sur les dangers et défis que
confrontent les leaders et les chrétiens de ce 21ème siècle, entre autres.
Pour ce premier volume les
critères de choix de ces leaders n’incluent pas ceux du « sexe, d’âge, ou
de dénomination... » (Page 20). « Il suffit de croire en la mort de
Jésus-Christ à la place des pécheurs, sa résurrection d’entre les morts, comme
fondement de notre salut, pour être pris en compte. Toutefois, l’intégrité
morale, spirituelle, assortie d’une implication effective du leader en question
dans la vie des croyants, soutenue par des témoignages recueillis ici et là,
est aussi fondamentale... » (Idem).
Douze pasteurs évangéliques
Le pasteur, un leader dont
les implications dans la vie des fidèles sont non seulement d’ordre moral et
spirituel, mais aussi d’ordre social et économique. Il se découvre à chaque
sermon, affirme sa disponibilité à chaque crise d’un ou de plusieurs membres de
sa congrégation, s’érige en exemple à suivre partout où il se trouve, tout en
s’efforçant d’être jugé digne de sa vocation pastorale par son illustre patron,
qui n’est autre que Jésus-Christ. « Un serviteur de Dieu convaincu et
profond avant tout qui ne compte ni son temps ni sa connaissance lorsqu’il
s’agit de glorifier le nom de Dieu. » (Page 27).
Découvrir chaque pasteur
nous met en présence d’une personnalité qui a reçu l’un des appels les plus
exigeants qui soient, et qui s’efforce de l’accomplir malgré les tentations
matérialistes, les responsabilités familiales, et les convoitises personnelles
innées à tout un chacun. « La tentation dans le ministère, en général, ne
tient pas compte de l’époque, de l’âge ni du milieu où l’on travaille. » (Page
31).
Ces douze pasteurs sont pour
la plupart d’origine modeste, certains de la campagne haïtienne. La plupart
reçoivent l’appel au ministère dès leur adolescence. Pour parvenir au
séminaire, ils ont dû surmonter toutes sortes d’embûches. « De Lachaussée,
commune de Mirebalais à Jérusalem en passant par les États-Unis, le trajet est
vraiment long. Pourtant, ce parcours fait d’arrêts temporaires, de détours, de
monts et vallées, de chutes et de relèvements, sert à illustrer la vie d’un
pauvre jeune homme que le Seigneur a béni au-delà de ses espérances. » (Page
182).
Au ministère, où souvent
règne la précarité, certains pasteurs doivent endurer des nuits blanches et des
jours d’incertitude, tout en se forgeant à créer leur propre foyer. « Surtout
durant les trois premières années à Boston où la vie économique était très
difficile, malgré ma préparation ministérielle, je me demandais si je devais
continuer les études de droit pour assurer un avenir économique plus solide à
la famille ». (Page 89).
Certains furent même
contraints à quitter Haïti pour des cieux plus cléments, tant étaient féroces
les persécutions de toutes formes. « Nous avons subi des menaces et des
hold-up en Haïti. » (Page 35). Mais, dans ces pays d’accueil, ces leaders
font face aux tendances matérialistes du temps, et ils doivent persister à
prôner l’idéalisme chrétien et la notion de péché telle que définie dans la
Bible. « Le seul recours, c’est la parole de Dieu. Il ne faut jamais
compromettre les vérités bibliques face au courant politique, législatif ou
social du temps. » (Page 185).
Douze pasteurs à
(re)découvrir : Jean Duthène Joseph, Jean-Baptiste Thomas, Claude Noel,
Soliny Védrine, Gérald Guiteau, Jean-Claude Ciméus, Verdieu Laroche, Joseph
Etienne, Renaud Dumont, Jean Abède Alexandre, Jean Edner Jeanty, et
Charles-Poisset Romain.
Cinq artistes évangéliques
Les talents artistiques
pavent le chemin vers le succès mondain. Mais un prétendu succès qui assure la
popularité et une certaine aisance matérielle, surtout si son art sert les
appétits du gros public. « On doit avouer que l’illusion de la ‘Belle Vie’
(La Vida Loca) engendrée par un mensonge de succès soufflé depuis des décennies
par les grands noms du monde musical séculier haïtien fait penser que tout
geste de retrait ou de détour consiste en un pas de vaincu. » (Page 223).
L’artiste évangélique se
démarque de cette tendance. Pour lui, le succès est avant tout spirituel. « C’est
pourquoi l’artiste chrétien ne doit être confondu avec nul autre : une
voix consacrée, une musique et des paroles inspirées, puis une vie reflétant le
message chanté. » (Page 69).
L’artiste évangélique se
voit constamment à quelques pas des tentacules d’un monde qui ne cesse de lui
envoyer des signaux propres à attiser ses convoitises charnelles. « Une
servante m’a approché après un concert à Orlando en Floride (USA). Elle a fendu
la foule qui m’entourait pour se jeter à mon cou, en larmes. Et elle a pincé
fortement tous mes muscles, comme si elle était en présence d’un
extraterrestre. » (Page 226).
Ces artistes ont répondu à
l’appel du Seigneur et continuent leur ministère sous les ailes protectrices du
Saint Esprit, reconnaissant qu’«[ils] doivent faire de leur mieux pour rentrer
en contact constamment avec le Tout-Puissant afin de produire des chants sur
l’inspiration du Saint-Esprit, seul capable de convaincre les cœurs. »
(Page 199).
Cinq artistes à
(re)découvrir : Pierre Gardy Fontaine, Dayard Jérôme (Tibob de Nazareth),
Joël Doutre, Apollon Menard, et Emma Achille.
Des exemples de consécration et de persévérance
Dans un monde tourné vers
le matérialisme, où le succès se définit uniquement en termes monétaires, où
tous les moyens sont bons pour acquérir des biens matériels, et où des juges
juchés sur l’autel des lois humaines donc faillibles renversent l’un après
l’autre les principes judéo-chrétiens qui ont constitué jusqu’a récemment le
socle où s’ancre la société, et tout ceci à l’encontre des desiderata du plus
grand nombre, il est bon de découvrir ces 17 leaders évangéliques dont la
consécration et la persévérance dans les champs du Seigneur servent et
serviront de modèle et de point de repère aux générations présentes et futures.
Une noble initiative de la
part de Frantz-Jean-Baptiste, un devoir de mémoire accompli avec brio. Nous
attendons donc avec impatience les prochains volumes de Mémoire Parlante pour
continuer à être inspirés et galvanisés par la vie et l’œuvre des leaders
évangéliques haïtiens.
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