Paru dans Ticket Magazine (Le Nouvelliste) du 10 decembre 2015
Le quatrième roman jeunesse de
Claude Bernard Sérant, La guerre des cerfs-volants, nous transporte dans un
passé pas trop lointain, quand les cerfs-volants dansaient sous les ailes du
vent tempétueux de la période de Carême. Mais loin de s’engager dans un
passe-temps paisible, les cerfs-volistes se livraient souvent à une guerre sans
merci pour maintenir le droit de slalomer dans le ciel avec leurs oiseaux de
papier et de plastique.
Toute
bonne histoire recèle souvent un peu de David contre Goliath. Dans La guerre
des cerfs-volants de Claude Bernard Sérant, David prend différents visages,
mais Goliath est le terrible Thompson Thomas, « un adolescent de seize ans
faisant plus vieux que son âge », muni d’un grandou féroce, et dont « la colère déferle dans le ciel, sans
bornes et violente ». L’enjeu est économique : Thompson se venge de
la mauvaise vente de ses cerfs-volants.
En
face du méchant Thompson, se dresse une clique de freluquets: Marc-Aurèle,
« un petit garçon au visage de pleine lune » ; Blockzo,
« maigre, les yeux grands, le visage étroit » ; Elie, le
concurrent de Thompson, avec son propre négoce de cerfs-volants ; Etienne,
dont le cerf-volant en forme d’étoile à cinq branches porte un billet doux à
Julie, la fille la plus belle du quartier ; Lubin ; Ernest ; et
Babou, « un petit garçon de dix ans aux yeux pétillant de malice. »
N’oublions pas les filles : Marguerite avec son cerf-volant en forme d’étoiles
à six-branches et Sylvie, dont le cerf-volant prend la forme « [d’]
un magnifique papillon aux ailes fragiles mouchetées d’argent».
L’auteur
nous fait revivre les petites joies de la Carême, quand nous étions tous
catholiques. Lors de cet amas de semaines éparpillées entre Carnaval et Pâques,
nous virevoltions comme des hirondelles entre la semaine de retraite, la
passion du Christ, le rara, et les
cerfs-volants ; sans oublier les poissons du Vendredi Saint et la dinde en
sauce du Dimanche de Pâques. Nous connaissons bien la guerre aérienne des
cerfs-volants et la silhouette de dinosaure des grandous. Claude Bernard Sérant nous propulse dans ces après-midis
d’avril, sur les hauteurs de Croix-des-Prés, quand le vent est à son maximum,
et où toute une populace se réunit pour assister à la danse des cerfs-volants.
Mais,
pour les adolescents d’aujourd’hui qui lisent ce livre, et qui sont submergés
dans le train ultrarapide des portables et des tablettes intelligentes, ce doit
être tout un monde inconnu. Pour eux, le cerf-volant ne représenterait qu’un
objet de curiosité, vestige d’un temps révolu, qu’ils aperçoivent exposé au
coin des rues, quémandant un brin d’attention.
Claude
Bernard Sérant a rêvé et nous fait rêver de cerfs-volants. Pour lui ce ne sont
pas seulement des kaps et des grandous, de simples jouets qu’on
balance sur les ailes du vent, mais aussi des porteurs de message et de
revendications, des instruments de la paix, des véhicules d’apprentissage de
l’abécédaire, et même des réceptacles de billet doux pour conquérir les cœurs
des jeunes filles.
Notre
souhait, et sans doute celui de l’auteur, est que ce roman de 87 pages, écrit
dans un langage fluide et imagé, non seulement aiguise chez les adolescents
d’aujourd’hui l’amour de la littérature, mais aussi renoue leur passion pour le
cerf-volant. Jean Antoine Petit écrit que « Le vrai courage ressemble au
cerf-volant : un vent contraire l’élève loin de l’abattre. » En ces
temps tumultueux, le cerf-volant a encore beaucoup à enseigner aux leaders de
demain. C’est peut-être pourquoi Claude Bernard Sérant refuse de voir le
cerf-volant connaître le même sort que les fanaux,
ces objets (maisons ou voitures lumineuses et multicolores) qui égayaient
autrefois les festivités de Noël et du nouvel an, et qui ont disparu depuis
belle lurette de l’imaginaire collectif de nos enfants.
Mario Malivert
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