Malia, d'une île à l'autre

Par Mario Malivert

Paru dans Le Nouvelliste du 6 septembre 2013
http://www.lenouvelliste.com/article4.php?newsid=120336

« De légers flocons flottent autour de moi », la première phrase de ''Malia, d'une île à l'autre'', un roman jeunesse écrit par Tamara Durand et publié par Editha (Les Editions Haïtiennes) en mai 2011. Cette première phrase campe le contraste entre le Canada, où vont vivre Malia et sa mère, et Haïti, l'île au soleil qu'elles viennent de quitter. Le dessin de couverture illustre bien cette réalité : une fillette emmitouflée dans des vêtements d'hiver rêvant d'une mer paisible que baigne un soleil éblouissant. Cette fillette arrivera-t-elle à s'adapter dans ce pays froid, elle qui n'a pas choisi ce déracinement, mais qui va le subir sans savoir pourquoi.



Le défi pour Tamara Durand, c'est de nous faire vivre les étapes de l'acculturation de Malia et de sa mère, à travers les yeux d'une fillette de trois ans et demi, et, bien entendu, tout en nous tenant engagés dans les péripéties des deux protagonistes. Pour ce faire, Malia aurait pu être ce super gosse aux pouvoirs surnaturels, qui fait des choses extraordinaires, ou bien se trouver embarquée dans des aventures les unes plus dangereuses que les autres, desquelles elle parviendrait à se sortir après de multiples tracas. Mais non, Tamara Durand choisit de faire de Malia une fillette normale, ordinaire même. Elle mise tout simplement sur le charme naturel de Malia. Les jeunes lecteurs, qui eux aussi font face à des situations nouvelles, peuvent facilement s'identifier à cette fillette qui vient d'Haïti.

Tamara Durand compte aussi sur le jeu des différences. Ainsi, elle commence avec le froid. Elle fait voyager Malia et sa mère en plein hiver, mettant brutalement Malia en contact avec la neige. « Maman, je n'aime pas cette chose molle et mouillée », crie-t-elle. En général, tout changement brusque choque l'enfant, car il n'a pas le confort des années d'expérience que possèdent les adultes, pour contextualiser le fait nouveau. Plus tard, voyant d'autres enfants jouer dans la neige, Malia ne tarde pas à les rejoindre : « Le visage de maman s'éclaire de bonheur en me voyant apprivoiser toute cette nouveauté comme si cela faisait partie de ma vie depuis toujours. » C'est l'une des premières victoires de Malia dans son nouvel environnement. Ensuite, c'est la garderie. En Haïti, Malia vivait entourée de sa tatie et de ses cousins, mais, au Québec, elle doit passer la journée dans une garderie avec des étrangers, dont la désagréable Madame Rosa. Elle va survivre à la cruauté de Madame Rosa pour se retrouver plus tard dans une meilleure garderie.

Dans la nouvelle garderie, le jeu des découvertes prend le dessus avec l'interaction de Malia avec des enfants de son âge, dont le beau Noah, le garçon « aux cheveux bouclés », qui fait battre le coeur des fillettes de la garderie, y compris Malia. Quelle plus belle découverte que l'amour ? Même avec son lot de jalousie et de rejet. D'abord, l'histoire du gros nombril de Malia qui la fait tourner en dérision par ses amis, ensuite le choix d'une autre fillette, Juliette, par Noah : « Lorsque je me réveille, mes yeux cueillent une image qui me fait renoncer à tout jamais au beau Noah : sa tête bouclée repose sur l'épaule de Juliette. » Cette période de la garderie voit Malia devenir une fillette bien intégrée dans son milieu, qui continue à s'adapter à son environnement. Ce n'est plus le jeu des contrastes entre ce qu'elle a connu en Haïti et ce qu'elle rencontre au Québec, mais ce que toute fillette de son âge doit découvrir et conquérir.

Tamara Durand nous charme en nous présentant cette fillette qui doit faire la transition entre Haïti et Québec. Elle nous fait vivre ou revivre les petites joies de l'enfance, la fascination des découvertes, et les victoires sur la peur. Le livre se déguste aisément d'une page à l'autre, mais seulement si l'on oublie que les réflexions sont supposées provenir d'une narratrice de trois ans et demi. On retrouve, certes, ici et là, un langage de fillette, des questions et réactions innocentes, la joie enfantine des découvertes, mais, en grande partie, le langage, les pensées, les déductions s'apparentent à ceux d'une adolescente. De plus, la narration simultanée accentue la nécessité de faire correspondre l'écriture avec l'âge et le niveau intellectuel du narrateur.

En fin de compte, Tamara Durand a des histoires à raconter, et elle sait comment s'y prendre. Il ne lui reste qu'à rectifier, dans ses prochains romans, les problèmes de vraisemblance et de temporalité, pour laisser éclater toute la splendeur de son art.

Mario Malivert
mariomalivert@yahoo.com

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